elle reprend son souffle au matin, avec la main d’un garçon inconnu posée à la proue de sa nuque, et qui veille. ils sont sous le pilier du pont Alexandre III, ils sont sur la plage blanche d’Hokitika. une bruine grise mouille leurs yeux. Dora touche la peau étrangère et heureuse, écorce douce de rimu ou de totara, née du sang versé du dieu poisson Tuna-Roa. la main froide de la pluie descend entre les ailes tronquées de ses deux omoplates, la main du garçon dont la langue lui rappelle les feux rituels du soir et l’odeur des fougères. vieil océan… elle a fait de l’enveloppe kraft qui scellait son destin des petits bateaux crème qu’elle lance à l’eau filante. si les chiffres et les lettres s’agencent maintenant c’est au sextant de minuit d’une goélette fantôme ou bien aux yeux de paua des anciens maoris, à l’écoute du sensible et qui tressent en bois souple la carte des courants, des écueils, des merveilles de leur terre qui est aussi, surtout, la mer. Dora serre dans sa peau la peau de l’inconnu. elle n’abandonnera plus la bête fade et terrible aux sursauts des machines, elle fera sa route seule, debout sur le pont, avec les yeux qui brûlent et la mer décevante. on a ouvert ses veines, on a fouillé sa chair, on a puisé sa moelle et sa sève et son sang, on l’a droguée de sels, de sucs et de plantes mortes, on a voulu vider de sa peau la bête folle, la bête était trop grande, trop longue et pernicieuse, en l’attaquant en elle c’est elle qu’on atteignait. Dora se souvient des grands éclairs statiques et des évanouissements, des nausées dans la rue, elle cachait son état on croyait qu’elle cachait un état plus heureux, à qui aurait-elle dit que le noyau infect qui était né de sa chair était un petit monstre, une bête étrange, indomptée, indomptable, le début de sa mort porté dans sa vie même ? en sa poitrine offerte Dora donne au garçon inconnu et tranquille le lieu de son massacre.

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