l'immédiate
journal d'O.

 

il y a toujours un moment où les types déçoivent - les filles, jamais. je corrige à colère apaisée : il y a toujours un moment où les amours déçoivent - les alliances, jamais.

au fond qu'est ce que c'est - une saleté de réminiscence romantique, des débris de romans passés trop vite trop fort dans le sang, un vieux complexe néo-féministe, de la simple bêtise ? un manque de courage quelques fois - distance réglementaire posée à la barricade de mes yeux maquillés mes robes farouchement noires visage dur et gardé distance de fausse confiance, apparente vanité, quand on s'imagine que c'est si facile de trouver la brèche en un homme, si facile de s'immiscer, faire levier sur l'orgueil, il y a une certaine jouissance à faire perdre pied - jouissance aride, jouissante feinte - quand je me crois si libre le fait est que je joue les jeux qu'il faut, quand je me pense pleins pouvoirs je joue si bien mon rôle je succombe si bien à l'angoisse de n'être pas aimée - il faut que cela cesse - il faut - quelle idiote je fais, capable je le sais d'avancer si loin et tombant malgré tout dans les sales pièges du genre, manichéisme béat, folle étroitesse d'esprit et grande facilité de renvoyer la balle dans des camps circonscrits hâtivement, rouge à lèvres d'un côté, after-shave de l'autre, mais qu'est-ce que ça veut dire ? au garçon qui paraît je présente un mur de froideur et d'explosifs contenus, je toise, je méprise, j'irai jusqu'à le faire ployer si l'idée m'en vient et parce que dans ma poitrine encore le coeur en chiffon se déchire lentement, parce que j'ai peur et que j'ai mal - l'illusion inconsciente d'une certaine revanche - mais une revanche sur quoi ? sur les types du métro, des rues inquisitrices, des cafés tapageurs, sur le sale universitaire en bras de chemise l'oeil rivé au coton tissé de ma robe je l'ai déchirée en rentrant je voulais tout déchirer et m'imaginais coupable ? dans la rue avec M je lui disais je voudrais être un garçon je souffrirais moins d'être un garçon, un corps puissant comme toi je souffrirais moins, le soulagement peut être de n'être plus enfermée dans l'illusion hystérique d'un corps de femme que les regards réduisent à un objet de désir essentiellement passif, donné, disponible à l'évaluation et au plaisir - j'implose - d'une peau que je ne comprends pas, d'un désir vivant qui m'anime malgré moi, de la violence des yeux tièdes qui me courent sur la peau et du fait terrifiant que je devrais m'en flatter - tout se mélange, tout fait mal - je suis ce corps vivant corps de femme je suis cette chair qui avance et exulte et s'effondre, pareillement ; je suis là libre et fermée de toute part par des rôles que je suis venue à jouer malgré moi, rôles d'apparente séduction et supposé pouvoir rôles de servitude en vérité, rôles dont je ne me sors pas ; à un moment donné il a fallu la défendre la spécificité féminine il a fallu la ramener en lumière mes grands-mères ont brûlé leurs corsets pour cela et maintenant la rigidité des nouveaux modèles féminins nous revient dans le ventre, si je rentre dans cette pièce je suis là pour être belle, à la fois droites dans leurs bottes et légèrement vulgaires c'est le rôle qu'elles jouent toutes, qu'elles s'imaginent salvateur et fidèle à leur goût de la liberté, si je rentre dans cette pièce je vais faire la Salomé la Marie-Madeleine au fond c'est la même chose mais ça nourrit tout de même mon orgueil d'ex-hypokhâgneuse qui a bien lu son Huysmans - oui j'implose - et dans l'amour idem quand je me crois capable de dépasser le mépris et la peur je les voudrais clairvoyants je les voudrais dangereux envers tous et eux-mêmes, je leur sers la même soupe de femme fatale biblique parce que l'angoisse me ronge - dès la moindre déception et parce que H et L partagent certains de mes voiles certaines de mes blessures je ferais donc ainsi d'une bête question de heurt une illégitime question de genre ? il est possible pourtant il doit être possible de dépasser le genre - personne ne m'a jamais tirée hors de mes corsets imposés plus que M, plus que V, personne ne m'a poussée dans mes meilleurs retranchements que J, que P, que JBM, quand les uns et les autres ils avançaient à rompre les digues, quand ils avancent toujours, et qu'au-delà de l'amour, du désir ou de la langue une sève inconnue et toujours fraîche nous unit.

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mercredi 31 mai 2006