l'immédiate

journal d'O.

samedi 14 décembre 2002

April s'était assise à côté de moi le premier jour en cours d'allemand, c'est elle qui m'avait fait entrer dans les classes théâtre dès la semaine suivante, il me semble maintenant qu'elle m'était attachée d'une amitié particulière, de celle que l'on va chercher dans la différence un peu fière des jeunes enfants ou bien des étrangers - et moi j'étais un peu des deux. elle était très amoureuse d'un garçon qui venait de Bruxelles et qui était amoureux de moi sans doute d'ailleurs si je puis dire par facilité de langue, mais elle ne m'en voulait pas, j'avais un crush sur son frère princetonien (un véritable flambeur) et ça nous faisait beaucoup rire, tous les deux mois sa mère me faisait monter sur une chaise de la cuisine pour m'épointer les cheveux, les week-ends au bord du lac nous nous endormions serrées dans les hamacs balançants du jardin, et tout était facile, et tout était simple dans l'amitié d'April, elle veillait sur moi de loin en loin, et quand bien même elle me faisait entrer dans le cercle très fermé des gens populaires de l'école, ces beautiful people qui semblaient toujours savoir tout faire et n'avoir besoin de personne, elle me donnait aussi les clés de ce monde codifié, me permettait de m'y fabriquer une place réelle et qui serait la mienne. je me rendais compte de cela assez tard, quand courant dans les couloirs de l'école en pleine nuit avec les quinze autres filles du groupe de théâtre en direction des courts de tennis je savais qu'elles me laissaient là participer à un rituel mis en place bien avant mon arrivée et qui continuerait longtemps après mon départ, un rituel entre elles et maintenant entre nous. je courais à perdre haleine et la nuit résonnait de nos pas dans les grands couloirs froids, j'avais cette sensation étrange et délicieuse de vivre des moments sans doute peu communs, les moments clandestins des amitiés grandioses, à bout de souffle et comme arrachés à la nuit.

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