l'immédiate
journal d'O.

 

 

Cassandre

02.12.03

à l'estrade, le soir, il balançait sa tête comme les petits enfants. je détestais Bach, les concerts, les programmes glacés blancs qui coupent la pointe des doigts, tout ce silence de mort pour un piano hoqueteux - je sortais dans la cour, il m'y suivait encore. l'eau dans les fontaines de pierre était verte et vivante. je marchais comme une ombre, en silence, dans ses cris. c'était le mois de décembre, la neige blanche à Paris. je ne dormais plus chez moi. je ne voyais plus mes amis. je lisais Nerval dans les jardins, moitié folle moitié ivre à renverser ma gorge et me tordre les mains. je courais toute la nuit dans la ville en furie, je dormais tout le jour et puis sa voix à mon cou entourée par colliers comme le fil du téléphone : oh tais-toi, tais-toi encore mon amour. je me réveillais en sueur comme au feu d'un bûcher, toussant, trempée de larmes et appelant au secours, suffoquant à la nuit avec la peur panique de ses bras en étau. on me donnait des médicaments. on me conseillait du repos. on disait ça n'est rien, c'est l'hiver qui est mauvais. je prévoyais la fin, tous les jours, en filigrane avant d'avoir écrit l'histoire, il amenait sa main à caresser mes cheveux, j'avais plus peur encore. Cassandre, en devenir. Cassandre, d'avoir trop joué avec le désir. j'étais seule, toute seule, misérable. en prière, amulette, je disais tous les mots qu'il ne fallait pas dire, je voulais qu'il se lasse, me laisse, me libère enfin de ces trop-pleins d'amour, de passion froide, malheureuse, les aiguilles dans le coeur comme une poupée vaudou - il riait, il parlait, j'étais sa poupée oui mais sa poupée fragile, à protéger toujours d'un monde affreux, terrible, bien trop dur pour moi : il m'enfermait encore, à sa peau, à ses bras. Cassandre, l'enfant terrible, celle qu'on ne croira pas. il se disait puissant, glorieux, une cité imprenable, Troie du haut de ses remparts qui se moque de la mer. un matin, sans prévenir, quand tout s'est effondré j'en ai presque souri.

 

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