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l'immédiate
journal d'O. rouge et or pour l'été |
vendredi 11 juillet 2003 il y a eu ce moment dans la foule des amis où V soudain s'est retourné vers moi et puis très vite m'a dit : je ne peux plus écrire. j'ai voulu lui sourire, lui parler, prendre son bras, donner tous ces lambeaux de moi qu'il effleure sans arrêt, - il avait déjà relevé le regard vers les autres, il parlait fort, il jouait. la tristesse, le dégoût - je le sens - nous prennent pareillement. je ne sais plus quoi faire. les couleurs m'agacent. toute promiscuité, tout regard, toute parole mal mise me semble insoutenable. ce sont des jours étranges. ce sont des jours comme jamais avant, sans doute rarement après. j'erre dans une ville morte, une ville vidée d'elle même et que je ne connais pas. je peux faire la maligne un moment avec mon grand chapeau, mes rubans, mes beaux gestes de petite fille bien éduquée, je me dégoûte moi-même comme me dégoûtent la nuit, les affiches débordant vers le vide, ce public malade du Spectacle et puis qui en demande encore. on se trompe de combats. on veut aller trop vite. Mnouchkine cet après-midi les gens la regardaient comme on attend l'oracle. les téléphones sonnaient. je marchais dans le vide. je pensais à ces mots de V, son désarroi offert une fraction de seconde à mes yeux abrutis de soleil, de fatigue, mon incapacité même de lui dire ma souffrance partagée à la sienne, je pensais à mon oncle aussi me murmurant comme de rien : ce moment où l'on sait que l'on existe entier dans la pensée de l'autre, qu'on le sait dans le sang, ce moment-là c'est le seul qui nous sauve. |
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