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l'immédiate
journal d'O. |
vendredi 14 mars 2003 ils m'ennuient, ces gens qui croient que pour aller dans la vie il faut avoir un but. une destination. une direction à suivre. je n'ai rien de tout cela. je porte mon angoisse du lendemain comme seul bagage, et quelques livres, et tant d'amour, et une soif, un désir infini de toujours tout donner, tout apprendre, tout goûter des fruits, des villes, du corps, de la couleur. qu'ils marchent tous bien droit vers leurs belles ambitions, pourvu qu'ils me fichent la paix ! ce matin le vent fou me transportait le coeur. tout à l'heure le vieux Reggiani disait le terrible poème de Vian, le déserteur. je pleurais. tout le monde pleurait. la scène était vide autour de lui et j'aimais bien ses vieilles lunettes carrées, un peu les mêmes que dans Vincent, François, Paul et les autres. on vit de rêves et de chansons. on vit de poèmes et de films. on vit de livres, de folies, de portes claquées au nez des années froides. on vit dans le corps d'un homme et sa peau étalée en sursis de la mort. on vit de ça seulement, et dans le seul moment que celui où la lumière tombe, splendide et sans écarts, sur les scènes des théâtres ou le dos des boulevards. ceux qui croient que la vie est ailleurs n'ont pas encore commencé de vivre. |