l'immédiate
journal d'O.

 

 

R.

18.11.03

son regard croisé par hasard dans les quartiers de l'enfance, son regard qui sourit, qui ramène avec lui soudain toute la couleur - à seize ans je me souviens le bleu froid de ses yeux me chavirait le coeur. il y avait l'hiver, la nuit tombée comme un rideau sur le lycée désert, la dernière heure du jour, celle des héros, le cours de grec en salle 106 - assise en face de lui je refaisais tous les soirs, à moi seule, en cinquante minutes chrono, la folle souffrance d'Ulysse, l'Iliade et l'Odyssée. il riait. je me vengeais plus tard, les fins de semaine tranquilles, ma très belle robe de satin dérobée à ses mains. son prénom me hantait. il venait en écho d'un autre amour lointain, même prénom impossible, tendre fier et hautain, mêmes yeux de faïence vive, avec le bleu changeant de la nuit, du secret, des rivières. on s'échappait l'un l'autre dans des joutes fantastiques - je l'aimais pour cela - pour ces batailles de front qui nous laissaient fourbus, l'agacement et la feinte, la rhétorique du désir. son regard m'épuisait, je lui donnais de la photo, une vue imparable sur mon offrande à X quand il ouvrait la porte, et puis je m'en allais. toutes les armes étaient bonnes. il m'usait à la corde au mystère de ses yeux. c'est pour le mettre en boîte que j'apprenais - très vite - l'art de la mise en scène, deus ex machina à la sonnerie du soir, close-up sur mes mains blanches, le regard cinéma. je notais sur le dos de Platon des titres et des idées. le secret c'est celui de l'icône, il faut être la seule image valable. est-ce que la sphinge ment, y-a-t-il seulement vraiment énigme ? l'important c'est peut être simplement la façon dont elle pose ses pattes de lionne sous sa bouche folle de femme. dans la lutte au désir je suis gagnante d'avance car je connais les codes. pour les yeux doux d'un type on se donne soudain toutes les forces, les moyens d'exister. qu'importe ce qu'il advient, si tu me touches ou pas, qu'importe la prochaine scène, je ne m'inquiète de rien, tous mes Raphaël ont les yeux bleus.

 

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