l'immédiate
journal d'O.

 

 

Didon

30.11.03

cap Sounion - les bras levés en funambule avec le vent sur le visage j'avançais tout au bord de la falaise, la falaise tendre, tranquille, toute d'or et de nacre pure comme le visage d'une reine - j'avançais jusqu'à venir goûter le vide, balancée comme un arbre par le vent sur le fin fil de terre et de rocaille qui d'un seul coup faisait la mer, le ciel et l'horizon - un trait sur la vie, net, au crayon sous mes pieds nus. c'était le plein midi. la mer semblait de métal en fusion. dans le bus, M dessinait sur ma peau le signe triangulaire et secret de la ville de Carthage. son père avait grandi là-bas. il disait : Carthage, c'est comme toi, c'est la ville imprenable tombée dans la mer. c'est la ville folle furieuse qui demandait le sang. Rome en faisait des cauchemars. la Grèce était jalouse. l'histoire l'a ravagée. Didon est morte brûlée, abandonnée d'amour. tu aimerais Carthage, ses rêves d'ombre rouge qui rôdent de la mer au désert. le soir, c'était le quatorze juillet, je marchais dans Athènes à son bras de cuir brun dans une robe en lin blanche. les fontaines m'attiraient. on buvait du champagne à l'ambassade de France, on dansait aux parquets montés dans la grande cour, avec l'odeur des écorces, le miel, la menthe, les fleurs monstrueuses débordantes de parfums où se couchaient les danseuses, leurs sandales à lanières flottant comme des bateaux, aux bassins de marbre blanc, le matin. M disait : à Carthage comme ici si la lumière te prend l'oeil elle ne te le rend pas. elle emmène dans ton coeur des poisons inconnus qui sont comme ces lumières infinies à la mer : c'est le sens du tragique, et la mélancolie. on s'endormait aux terrasses. on suivait les voiliers. les petits villages de montagne tout blanchis à la chaux nous accueillaient sans bruit. à Délos, la mosaïque du temple d'Apollon était marquée du signe de la ville. je voulais rester la nuit encore sur l'île, braver le mythe, le dieu-soleil, l'interdit. à toute allure la fin de l'été fou d'amour approchait. M me donnait ses souvenirs par brassées. il remontait loin dans le sang. dans ses bras cet été-là et les années suivantes comme une réminiscence j'ai rêvé de Carthage en flammes, Carthage mon refuge, engouffrée sous ma peau par les mains d'un amour, ma belle métempsycose, Carthage enfin abandonnée à l'Empire fière et folle comme une femme, esclaves fuyant dans le fracas de leurs chaînes, les hautes colonnes de marbre effondrées dans la mer, une mer de passion bleue, lisse, mouvante et fascinante comme l'intérieur d'un oeil.

 

avant - après
index - journal
ego -
archives -

© 1999-2006