l'immédiate
journal d'O.

 

 

Circé

29.11.03

du même pas, la nuit, de la même cadence folle du corps dans la ville, ta main repliée vers moi quand surgissait une voiture - ma protection, ma douceur - ta main rendue aussitôt au secret de ton coeur, à tes poches, à tes clopes plutôt que me toucher - du même pas nous allions et puis du même silence de théâtre japonais, droit devant au désir comme des bateaux lancés, en pleine nuit, pleine tempête, oh dans les petits passages en boyau où ta hanche me frôlait, c'est moi qui chaloupais, c'est moi qui devais relever et la barre et la tête bien hautes pour ne pas chavirer - je nourrissais une haine impossible pour ta désinvolture de petit garçon moqueur et plein de fierté, ces yeux d'eau noire et d'ambre que tu promenais sur ma peau sans jamais me toucher, et tous, tous effarés et heureux allaient dans ton sillage comme dans celui d'une femme, redoutant tes colères, courtisant tes humeurs, petits chiens donnés tout entiers au désir de te plaire : je serais morte mille fois que de m'abandonner. c'était la passion vive. elle me brûlait le coeur. j'en cachais les décombres le soir sous mon bustier. j'avais des armes secrètes - un espion bien placé - une puissante sorcière mède - quelques types sans vergogne qui m'appelaient princesse et qui m'étaient dévoués. au soleil dans la cour je traçais des fossés tout autour de ton coeur, à l'encre sur des cahiers, au sang s'il le fallait, avec les larmes la nuit à mes yeux déchirés - j'allais lâcher les lions quand tu m'as embrassée. toute la foule était là et la foule n'a rien vu - une foule aveugle et muette, barbotant dans la terre comme frappée par Circé. la nuit alors s'est ouverte - j'ai perdu toutes mes robes, mes bijoux, mes rubans - je n'ai rien oublié depuis : quand j'aime une nuit j'aime pour la vie.

 

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