l'immédiate
journal d'O.

 

 

 

la chambre aux rideaux de velours rouge - photos de famille dans leurs cadres dorés, couvre-lit de soie, draps brodés, crucifix - la vieille province catholique au temps arrêté - tout à l'heure jambes impeccablement croisées dans le salon vert d'eau, le petit goûter sur la table gigogne, et je pensais à toi et j'étais folle de joie - les yeux très maquillés, en robe noire décolletée, et si mon coeur encore passe dans les plis profonds des rideaux rouge carmin alors quel drame macabre, quel amour interdit, quelle désillusion sublime et lasse dans la bouche des orchidées vénéneuses ? de tout corps faite comme une femme biblique un peu perverse un peu violente alors j'ai le droit je le prends d'en rajouter tant qu'il plaira - le goût de toujours des méridiennes profondes, des parfums forts et des regards, alchimie secrète au soir de la peau et de l'encre, ce quelque chose de glaçant quand au hasard d'un couloir toute ma silhouette vivante vient se calquer entière sur le corps peint d'une arrière-grand-mère que je n'ai jamais rencontrée - mais la rencontre se joue du temps, et assise dans une robe de taffetas tout à l'orée du rêve elle avait les cheveux noirs, bien lissés en bandeaux : je passais ma main dans la sienne et sur l'acier bleuté des grandes fleurs du jardin, une sorte de brume froide et comme alcoolisée montait de la rivière, Des Esseintes mon sublime convoqué de pacte évident promenait sa tortue toute sertie de pierreries et fumait et parlait de la nécessité des fards et des pigments pour corriger la nature et puis pour l'embellir ! - je pensais au corps marqueté de la somptueuse Salomé de Gustave Moreau, je ne doutais pas de surgir du rideau rouge carmin pareillement tatouée secrètement de l'intérieur.

 

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mercredi 14 décembre 2005
(gustave moreau, salomé dansant, 1876)