l'immédiate
journal d'O.

 

 

 

 

c'est décembre et elles ont posé la suave fourrure d'un renard à mon col - les maladies qui les obsèdent dans leur vieillesse inquiète sont celles d'un autre temps, au fond c'est assez reposant - et puis nous avançons dans la lumière cendrée, nous marchons dans les souvenirs et les allées très froides du grand jardin mort où deux ordonnances autrefois taillaient les beaux rosiers rouge sang, j'ai demandé les photos et je les retrouve à vingt ans dans des robes blanches à rubans, chapeaux foulards et gants, le regard si doux et dans l'attente de tout - de tant attendre c'est le froid qui est venu d'abord, le froid descendu dans les os comme un liquide puissant et qui glace toute la moelle, le froid terrible et lent - à vingt ans elles ne se doutaient de rien, elles me le disent encore, incantatoires terribles et comme des anges échevelées dans le vent noir du soir, à vingt ans si sages, si confiantes, si données à la vie qui n'a rien donné en retour - à vingt ans et brûlées en plein vol par la guerre, le couvre-feu au coeur, toute liberté réduite à arranger tant bien que mal un refuge où rêver, elles n'ont jamais eu le temps de vivre pour elles, sur les photos déjà elles s'écartent, si douces elles soutiennent par la main cette grande liberté aux yeux verts et sublime qui est si tendrement devenu mon grand-père.

 

avant - après
index - journal
ego - archives -

© 1999-2006

jeudi 15 décembre 2005
(odilon redon, la cellule d'or, 1892)