c'est
une faille en soi, la plaie merveilleuse et puis que rien n'explique
- c'est le refuge heureux de la famille et de l'enfance, bruyères
sublimes, mon père en moto sur les crêtes, à table
ensemble et riant, des valeurs non mais une confiance, une exigence
poétique et politique du monde qui ne s'arrête à rien,
de même : mon désir premier d'enfant est un désir
profond et réfléchi d'éducation - toujours,
j'ai été si merveilleusement accompagnée -
c'est le refuge, le repos, sans heurt et sans autorité,
c'est le bonheur fou d'être ensemble, ensemble où la
langue ne trompe pas, ma langue natale c'est celle de ma famille,
des livres, du soleil dans la peau, et pourtant ? pourtant la faille
en moi, la faille ouverte de mes propres mains, le goût de
la fuite et des villes neuves, la nécessité intérieure
de m'écarter, de me heurter, de ressurgir dans d'autres
langues, quelques fois j'ai si peur de me perdre, si peur de perdre
mon temps sur des mirages lointains des exotismes inutiles quand
tout est là pour moi - les très beaux yeux bord des
larmes de mon grand-père qui me disent je t'aime, j'ai
follement confiance en ton devenir de jeune femme libre -
quelques fois j'ai si peur et pourtant, pourtant, c'est encore
cette confiance première qui me soutient, c'est savoir qui
je suis dans mon exigence du monde, quelles luttes, quelles forces,
quelles alliances, d'où je viens, c'est pouvoir revenir
de tout horizon et de toute souffrance, de tout doute, à tout
moment pouvoir me refaire dans l'étreinte merveilleuse de
ma tribu puissante, dans les rires, dans l'appui, dans la douceur
sans jugement et puis le versant sud de ma maison - le territoire
de l'enfance et du coeur toujours me tient forte du dedans.