l'immédiate
journal d'O.

 

sur un pont avec le vent qui plaque encore dans ma peau ma robe tunique de déjanire, dans le bar de la petite place je suis toujours la plus jeune, la farouche, et si secrète si palpitante je m'inquiète de tes silences me dit C, moi aussi en vérité puisque tout aussi timide et transpercée du monde on rapportera d'abord me saisir froide, fière, certaine de mes mesures, au fond j'aime bien et puis je reconnais cet irréversible poseur de B, son persiflage obscène de lycéenne, beau et ridicule dans ses costumes trois pièces italiens quand je l'attrape soudainement par la cravate (gris perle) que je l'attire à moi il garde la face tant qu'il peut je dis très enfantine : c'est fait pour ça non ? et le noeud coulant dans les doigts est tendre et satiné, d'humeur sur la brèche j'aime écouter D ses mots durs son désir de femme divorcée qui dérange, dans la compagnie des femmes bien plus âgées que moi je trouve toujours cette ardeur, cette volonté de vie puissante qui me rassure, quand je pense qu'à vingt ans j'érigeais cette banalité terrible de la jeunesse en forteresse de fierté, fanfaronnant mon âge et n'en comprenant pas un instant l'écho dans la peau je comblais je crois les gouffres et les plaies du mieux que je pouvais, à vingt-cinq ans encore cette jeunesse virtuelle et incompréhensible me sonne dans la peau un peu comme un tocsin et c'est toujours cette étrange et familière imposture d'être sans fatigue apparente cette jeune femme des terrasses des sourires des faveurs les facilités dégoûtantes de la vie quand un mètre de jambes vives et belle poitrine bien ferme, le complexe de la fille d'Ipanema un peu, prisonnière et figée dans sa jeunesse sublime, à se demander comment elle a bien pu vieillir sans devenir complètement folle ? - la musique change, je comprends brusquement que l'ami de B me regarde beaucoup et puis ça me surprend toujours, les rouages de mon propre orgueil m'échappent, quand si consciente de ma force et si peu confiante en elle, du même mouvement, je ne saurai donc jamais rien des morceaux qui me font et lui et d'autres qu'en sauront-ils ? je voudrais être douce je voudrais être entière je voudrais de dessous les masques sociaux et de l'angoisse et du désir être atteinte être touchée dans la chair la seule qui tienne.

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jeudi 8 juin 2006