l'immédiate
journal d'O.

 

 

ce frisson qui circule. j'ausculte encore le rêve. le garçon aux cheveux noirs peut être est grec, italien, du profond des Balkans. la faille dans ta poitrine je la connais. la blessure. tu sors d'une forêt sombre et malheureuse, troncs noirs, racines sèches, tranchées fouillées dans le ventre de la terre. tu sors d'une eau si pâle, tu tiens dans ta main des coraux qui te blessent dans la chair. tu sors d'une ruelle secrète, une cour légendaire du ghetto vénitien. tu sors des ruines antiques de Carthage ou de Volubilis, tu respires le désert. tu m'échappes. allongé dans les feuilles fraîches et attendant l'assaut, est-ce que tu as souri ? il y a un couteau noir dans ton coeur et qui tourne. ça me surgit sans cesse dans le sein comme un cri. tu vois, parfois je ris de toi et je m'amuse - j'espère encore. dans une autre vie que celle que je te rêve tu t'es tenu ici, pêcheur d'éponge debout sur la falaise, héros russe et tendre fougueux comme un cheval, enfant de la côte dalmate aux lèvres palpitantes, un prince turc, un bateleur, ou voleur esquiveur ou voyageur sans trêve né de père oriental et d'une mère aux bras blancs, imbibé de soleil aux ruines et aux absinthes, remontant le Bosphore pour l'épice et la femme, pirate un peu peut être, voleur de chevaux, mangeur de feu, danseur de flamenco ou de danses géorgiennes, gitan au violon noir, jeune marin égyptien, flâneur de Lisboa sous le soleil unique, saccageur du bon sens et des promesses morales, petit-fils de sorcière, de bergère, de tsarine aux yeux fous, en toi la bacchanale et le système solaire, la pulsion essentielle qui te tire dans la peau, qui heurte et qui appelle, penché à la fenêtre du rêve et je vois tes épaules, tes mains qui ensevelissent, pommettes hautes, yeux couteaux, la bouche fendue comme une blessure - tout à la fois mon frère, ma nuit et mon désastre.

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mardi 21 mars 2006