l'immédiate
journal d'O.

 

 

dans la rue sale et sombre les types qui fument adossés à la vitrine d'une boutique, souvent ils me voient passer et ils sifflent, ils s'amusent, toujours ils me disent bonjour et ce soir ils s'inquiètent, ils sentent la tristesse qui me prend et les larmes, ils disent allez, allez, qu'est-ce qui se passe ? je ne fais jamais la maligne avec eux, la semaine dernière encore alors qu'un des plus hardis m'assurait que cette rue ne me méritait pas, que j'étais faite pour les beaux quartiers, idiote avec ma robe noire et mes talons je voulais l'assurer du contraire, d'autres fois je leur disais un peu fermement oh maintenant ça suffit ! à passer dans leurs constats de maquignon deux ou trois fois par jour, ce soir Hakim me dit : un mec qui te fait du mal c'est un mec qui te mérite pas et son petit frère fougueux s'exclame : hey tu veux qu'on le soigne un peu ? ils me parlent du quartier, leur quartier, le quartier où ils sont nés et qu'ils voient s'en aller en morceaux, en lofts réagencés ou en boutiques bobos - ils sont doux avec moi, ils ont la protection dans la peau et leurs yeux abîmés, je ne sais pas comment ils font pour tenir le coup contre la misère autant que la dragée haute aux flics qui passent et qui repassent et qui les circonscrivent par avance dans des délits qui sont avant tout des délits de clash social et de sale gueule, ça me fait mal d'être la seule, si terriblement blanche, à qui on ne demande pas des preuves de bonne foi ou sa carte d'identité, moi je ne sais pas quoi leur dire quand nés dans la même ville je suis la française ils sont les algériens, j'ai l'envie folle de rester encore dans la rue et leur confiance, le respect fou qu'ils me témoignent parce que je les respecte tout autant, et comme ça les fait rire comme ça les rend fiers de m'entendre baragouiner les quelques mots d'arabe qu'ils m'apprennent patiemment... quand je les quitte dans la nuit toute larme est une colère, une infinie colère - qu'importe donc que tu me heurtes à ton orgueil et ton indifférence, la vie toujours la fulgurante vie du réel et des hommes me rattrape au tournant, toujours et au-delà de moi-même elle m'entraîne.

avant - après
index - journal
ego - archives -

© 1999-2007

dimanche 1er octobre 2006