l'immédiate
journal d'O.

 

les lumières sont allumées avec la nuit, les petits verres d'eau-de-vie, et je me souviens de Rita, les bijoux de perles et graines qu'elle jetait sur mon enfance, les rires, c'est elle qui était venue chercher mes parents dans la petite pension de Ouagadougou où les margouillas enjôleurs et avides tournaient leurs têtes sur tous les murs, il y avait des feux d'artifice, une foule forte et brûlante dans les rues, maman croyait à la célébration - le lendemain, sous les mitraillettes déchargées des avions-cargos, la Haute-Volta s'appelait le Burkina Faso. venue en France il semblait que Rita vivait essentiellement contre la vitre rouge de notre cheminée, très belle avec ses épaules de danseuse, sa poitrine ronde, ses mains plus pâles du dedans et ce sourire splendide qui me manque maintenant, c'était l'enfance magique des légendes et des feux, le sabre de fer défendant la porte de tout heurt, tout fantôme, je rêvais du désert, des longs fleuves lancinants et d'un guerrier masaï au corps sculpté de boue... mes parents ne me parlaient qu'une langue - la leur profonde - mais j'avais l'ailleurs comme repère, la couleur insensée des cartes et des voyages, toute la marge de l'imaginaire. immense, solide, l'enfance tenue par les livres et les voix qui s'élèvent, le soir, dans la douceur d'un jardin de mi-mai. j'étais une enfant à poupées et à voitures, robes, rubans, trains, établi, moto, dans les narcisses écrasés pour aller toujours un peu plus vite et personne ne m'a demandé jamais de faire la petite princesse, cet apanage bonbon qui marquerait le sexe. j'étais libre, attentive, pleine d'images, écoutée - ma voix valait. petite j'ai voulu mourir plusieurs fois, parce que l'inéluctabilité du monde extérieur en mensonge, en attaque, fondamentalement inacceptable, parce que les images des enfants aux orbites vides, creusées au scalpel pour la cornée, parce que les pipelines en flammes dans des déserts terribles, le filet de sang rouge aux lèvres d'Emilie B. et puis l'adolescence est venue comme une rage. les questions n'ont pas été résolues, simplement déplacées. avec quoi, pour quoi tient-on le coup du réel, tous les jours, l'un après l'autre ? et d'autres questions s'accumulent, le corps fait obstacle et les mots, l'impossibilité de percevoir le temps présent, l'impossibilité de se situer, est-ce que j'ai trop rêvé, est-ce que j'ai trop cherché le recours à l'ailleurs en peur de cette seule vie ?

comment le dire ? si j'ai pleuré tout le jour de mes vingt-six ans c'était de sentir le temps passer si vite, c'était d'être si fragile, parfois si peu faite au monde, si follement inquiète de tout rater - ce tout qui est un peu l'amour, un peu l'apaisement, tellement l'enfant.


avant - après
index - journal
ego - archives -

© 1999-2007

lundi 26 février 2007

avec un collage de Julien Chastang (merci)