l'immédiate
journal d'O.

 

 


au bar j'ai demandé le garçon aux yeux tristes qui joue de la guitare et déjà je le devinais, si proche, si vrai, les flamencos languides qui coulent aux escaliers d'une cave sombre et physique ; je crois que toute ma bouche tremblait. je suis descendue comme à l'aveugle, les mains aux trous des murs, aux velours tendres, et figure onirique embrumée de parfum une femme très blonde chuchotait d'une voix de pierre brisée marquée d'un fort accent allemand ou scandinave : je n'ai jamais été si heureuse. j'ai dit : moi non plus, et c'était pour être dans sa joie, pour être dans le suspends des tristesses qui m'abîment et puis par certitude, par confiance absolue en mon J aux yeux fous quand il reprend son souffle pour un dernier Django. il y avait une petite foule compacte dans cette cave enfumée et je me réjouissais (j'avoue) que ce terrible brouilleur d'ondes sensuelles de M ne soit pas là : la joie d'être vivante et de vider des verres avec J quand nos secrets se fondent à la grande nuit collante et aux accords bossa qui racontent la baie blanche de Rio ou les usines du Nord, les cargos qui descendent en monstres transatlantiques pour des ports de misère. tout est voyage dans la nuit pâle. tout s'abandonne à nous rejoindre. J a dit : l'amour impossible et amer. j'ai dit : le corps immense et qui connaît son chemin. sans doute, nous n'y croyions ni l'un ni l'autre ou bien si peu quand, d'échos dans notre dos, deux anciens flics parlaient platement de leurs planques à Pigalle et du pont de La Chapelle, la filature sensible d'une femme dans ce quartier cloisonné entre les voies ferrées de la Gare de l'Est et ceux de la Gare du Nord, je les croyais remonter dans une brume opaque au milieu des marchés exotiques et des rails, s'engouffrer sous des porches ou dans des cages d'escaliers, le souffle court, les yeux fixes, "c'est vrai qu'il y a un moment où un macchabée c'est un simple objet matériel" disait le plus âgé, et nous sourions à tout rompre, très Tardi, Léo Malet, très Adèle Blanc-Sec ou polar aux yeux noirs avec la grande carafe de Julienas qui tangue à hauteur d'une tristesse desséchante : J, merci tellement, autour de toi tout est rêverie.
 

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vendredi 12 octobre 2007