l'immédiate
journal d'O.

 


et le Chilien ? demande Laura. le Chilien ? le Chilien... un piège à lui tout seul, mon ombre dans le couloir, tranquille, magnifique, sur le souffle, avec des yeux de fille : du taillé sur mesure, si je puis dire. il était venu sans sourire dans la masse de la foule, j'étais assise sur le bord de l'évier ou enlevant mes chaussures, voilà la comtesse aux pieds nus, sa façon de parler espagnol quand il s'est tourné vers ses amis je l'ai reconnue tout de suite, la cordillère immense, la mer, la faille sismique, j'adorais sa façon d'être là dans le déchiquètement de la nuit et l'alcool, avec des yeux cendrés, les mains dans les poches, la joie à s'évanouir purement et simplement quand il me racontait son repaire préféré dans Shinjuku-gyôen, carré d'herbe dans le rêve, tokyoïte amoureux, chemins déjà frôlés ? je suis faible, je suis tenue d'images, elle est si simple la façon de me cambrer le coeur, si fidèle au souvenir d'un amour qui fut le plus intense - rien ne remplace Tokyo et puis tout m'y ramène. le Chilien japanophile, donc, c'était à rêver cette histoire, marchant sous les arbres de la cour les lumières dans les branches fluorescentes encore, il n'avait rien de ce qu'ils ont tous, inquiets de perdre leur proie, faussement tendres, tentaculaires et s'imaginant puissants, il restait là sérieux et respirant la nuit, sans attentes, sans simulacres, quand dans la rue déserte du matin j'ai parlé au très jeune garçon qui se tenait la poitrine sur le banc, quand j'ai pris la main du garçon, son pouls, que j'ai appelé les pompiers et parlant toujours au garçon, doucement, parlant incessamment pour qu'il reste conscient il est resté tout le temps attentif et entier, soutenant l'adolescent par l'épaule, veillant sur ma fatigue, il me semblait sans failles, sans fautes, un rêve ou une image modelé sur mon désir, et je craignais de l'abîmer.



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samedi 19 janvier 2008