breathing under water...

... living under glass

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mardi 18 décembre 2001

je ne suis pas belle je suis vivante c'est tout.

le petit matin blanc dans les rues de Paris. je rentre chez moi tout doucement. les camions de livraison se vident sur les trottoirs, ils bouchent les rues, ça klaxonne, je zigzague entre les cartons de fringues et les cagettes de pommes.

il fait froid. j'ai la peau très très blanche. dangereuse. j'écris un peu n'importe quoi. il pleut. je fais griller du pain frais que je tartine de confiture. rouge framboise aux lèvres. des jours comme ça, j'ai besoin de cette matérialité-là. le bruit et l'odeur de la ville, le froid gris de la pluie, le corps tendu dans la fatigue, l'impression permanente de vivre à fleur de peau, que chaque chose me pénètre la chair comme un couteau. 

souvent je parle de ça et pourtant je ne sais pas le dire. la matérialité terrible du monde, en certains objets, certains moments, certaines heures du jour ou de la nuit. les mains dans l'eau froide pour couper les légumes, les mettre à cuire, faire la soupe qui nourrit. les mains dans l'eau froide, et quelques fois on se coupe, le sang perle, rouge. c'est comme ça. ça n'a pas d'autre sens que ça. c'est le fait même d'être vivant.

il m'a donné à lire la vie matérielle et j'ai pensé à ça bien des fois. il y a un texte intitulé la maison où Duras parle de ça. de la maison, qui est l'espace des femmes. je veux dire, la maison, c'est le corps étendu de la femme. la maison, c'est son travail, son temps, c'est tout. moi je vais je viens je n'ai pas les obligations de la femme qui tient ses enfants son mari sa maison, mais c'est pareil quand même. la matérialité même de la vie, je l'ai en moi, je l'emporte partout, tout le temps. j'en parle et pourtant je ne sais pas le dire. c'est juste terrible comme le monde est présent. je veux dire, les lumières trop blanches qui brûlent les yeux, les nuits malades qui coupent le coeur, et le froid dans la rue, le bruit terrible de la ville, la peau de la main qui s'ouvre comme un sourire sous le couteau qui dérape. c'est beau. c'est tout. je le vis et parfois avec douleur, mais c'est tout aussi bien ainsi. la matérialité. quelques fois tout est juste trop fort, il ne reste qu'à pleurer. on ne sait pas pourquoi. ça n'est pas important je crois. la matérialité. quand je cours en collants dans la rue c'est pareil, c'est le vent qui souffle entre mes jambes, et dans mes cheveux, c'est le vent qui me tue et j'ai le coeur qui bat comme jamais. quand je suis dans mon bain et que je lis à voix haute en riant, c'est pareil, c'est l'eau qui me tient en son corps et qui danse avec moi, c'est un moment plus près de tout où rien n'importe vraiment. c'est comme ça.

il y a les mots, aussi. je l'ai déjà dit. les mots "café", "pain", "soleil", ce sont des mots qui me touchent tellement. ce sont les mots du début, de l'essentiel, ce sont les mots du vital, du vivant. les bergers aux yeux bleus dans les montagnes, le travail de la terre dans les campagnes. ces mots-là ce sont des mots du matin, du tout début des choses. quand je dis "rouge", "pluie", "lumière", quand je dis "jeune" et "folle" et "fière" c'est vraiment la même chose. ce sont mes mots à moi, mon langage, ma manière de m'écrire dans le texte et le temps, mon corps écrit étalé à tous vents. on ne peut rien contre ça. on reste vivants comme ça.

il me font rire, les gens qui croient que parce que je vis dans les mots, je vis ailleurs. ils n'ont rien compris. ils ne peuvent pas comprendre. ils n'écrivent pas. ils ne savent pas comme le langage vibre, comme c'est une corde tendue le langage, un instrument de musique ancien, la lyre d'orphée c'est bien la poésie, ah oui ils me font rire ces gens-là vraiment. ils croient sans doute que la "réalité" (mot très à la mode) se tient dans le sérieux, le concret, je veux dire dans la force, le financier. ils croient aussi que l'on gagne du temps en le comptant, qu'il n'y a que par l'excès que l'on se sent vivant. oh, suffit.

je ne sais pas pourquoi j'écris. je ne sais pas, ça m'est égal, c'est nécessaire, ça passe le temps, ça laisse apparaître en filigrane toutes les raisons d'être vivant. la tristesse et le désir, les heures sanguines au gré du temps.

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