breathing
under water... (un journal online) |
|
vendredi 1er février 2002 bords de mer il est trop tard pour écrire, disait maman, éteins donc ta lumière pour bien dormir. je laissais tomber mes crayons à côté du lit, je lui tendais ma joue pour le bisou du soir, et puis très vite descendais tout au fond des draps comme pour me cacher de la nuit nouvelle. elle disait "aurevoir" comme d'habitude le soir, et je répondais toujours, du fond de mes couvertures, "pourquoi tu dis toujours aurevoir maman, je t'assure que je ne vais nulle part". et puis déjà très vite c'était elle qui partait, qui s'effaçait en même temps que la lumière du couloir, jusqu'à plus n'être qu'une image floue, un rai fragile sous la porte. je restais toute seule dans le noir, sous les grands plafonds blancs qui semblaient briller doucement. j'avais mes poupées près de mon lit, mes nounours tout autour de moi, mes livres préférés, mes deux gros oreillers, et puis mes doudous, mes rubans tout doux, ma petite lampe de poche que j'appelais ma lampe de survie, que je rallumais très tard la nuit, sous mes couvertures ça faisait comme une auréole de lumière, je jouais avec orphée et émilie, je lisais les aventures de maître renard, j'écrivais sur un cahier d'écolier de petits poèmes idiots qui parlaient toujours d'étoiles et de châteaux, de mers lointaines, de princes à la peau pâle, sur le bord de la nuit je jouais, je lisais, j'écrivais, en cachette je m'aventurais sur les terrains sacrés du sommeil, en chemise de nuit blanche, les mains pleines de rêves à venir. |
tout l'été, on partait à la
mer. j'ai retrouvé des photos tout à l'heure, et puis tout
de suite après, la claque verte des vagues, le goût du sel
sur la peau, la chaleur douce des pierres du jardin, de grandes pierres
plates où je m'allongeais de tout mon long, comme sur de petits
menhirs renversés, pour lire mes bibliothèques vertes et
rêvasser. le matin très tôt, je partais à la
pêche aux crabes avec mon père, en bottes et ciré
jaunes dans les trous, les ornières que la mer laisse nonchalamment
derrière elle, quelques fois je m'enfonçais dans la vase
jusqu'aux genoux, il fallait que papa me repêche comme un crabe,
un petit crabe un peu fou qui gesticule et qui pleure à moitié
de rire à moitié de peur en criant au secours. les après-midi
c'était la lande, la grande lande verte et bleue sous le soleil
cuisant, en vélo dans l'herbe rase que la mer sale au gré
du vent, j'avais du sable dans mes sandales je fonçais vers la
plage, le bord du monde tout poudré de lumière qui s'en
va doucement avec la mer, comme le vent et les bateaux et les oiseaux
serrés dans leur sillage, comme mon cerf-volant vert dont la corde
un soir s'était rompue, et qui s'était envolé loin
au dessus de la mer, si loin et si loin encore que très vite, je
ne le voyais même plus. papa croyait que j'étais triste,
ce soir là, il me consolait en me prêtant le sien, et puis
tu verras on ira en chercher un autre bien plus joli et plus solide demain,
mais je n'étais pas triste, sous mes airs un peu perdus j'étais
même ravie, je le savais parti en voyage de l'autre côté
du monde, dans des pays secrets dont j'inventais les noms, le pays des
bachi-bouzouks et le pays des kroupiloupiloucs, les îles fanfreluches
somptueuses et magiques, leurs arbres de dix milliards de mètres
de haut comme de grandes herbes folles dont le coeur magnétique
attire toutes les boussoles, et puis plus loin encore le cercle athlétique,
les pingouins dans de grandes vasques de glace font des jeux olympiques,
il y a un gros morse au poil gris sur le bord de la banquise qui joue
du banjo, mon cerf-volant arrive à petits pas en plein lancer de
couteaux, il se cogne dans le couteau qu'un des pingouins a lancé
bien trop haut, il est un peu blessé mais comme il est très
gentil, le couteau le recoud et il devient son ami pour la vie, alors
très vite il repart avec lui, tous les pingouins les poursuivent
ils disent hé c'est de la triche, ou de la magie, ils appellent
une sorcière très connue qui soigne les gens avec des décoctions
de glace fondue, et la sorcière invoque le vent, le grand vent
du nord qui dans un temps ancien a été son amant (et mais
non je n'ai même pas dix ans!), donc, le grand vent du nord qui
dans les anciens temps a été un terrible ogre mangeur d'enfants,
et le grand vent du nord radouci par la solitude et les ans souffle sur
la voile verte de mon cerf-volant tout doucement, tout doucement, tout
doucement, il lui souffle sur les ailes par dessus d'autres pays merveilleux,
d'autres mers fantastiques, des montagnes comme des crevasses et des vagues
grosses comme des éléphants, il souffle sur ses ailes et
le laisse revenir tout doucement, tout doucement, sur une plage de bretagne
où une petite fille l'attend. alors le cerf-volant dit au couteau
resté sur son dos, écoute tu peux descendre toi si tu veux,
elle te ramassera elle jouera avec toi, elle sera douce et gentille et
un peu folle tu verras, mais moi je ne veux pas y retourner, j'ai envie
de naviguer, de repartir au gré des flots et des marées,
vivre une vie de poisson, ondulant ondulant ondulant, j'ai trop goûté
à la liberté tu comprends ? le couteau qui est très
compréhensif fait oui oui de ses gros yeux de couteau, et se laisse
tomber tout doucement sur le sable, de son manche en corne de morse il
fait un signe d'adieu à son ami pour la vie le cerf-volant, il
fait un signe et il attend, il attend la petite main blanche de l'enfant. (en feuilletant les albums de photos papa me demande, c'était quoi chérie cette manie que tu avais, l'été 90, de ramasser tous les couteaux que tu trouvais ? - les couteaux ? comment ça je ramassais les couteaux ? - mais si, tu sais, ces coquillages très très longs, et puis tout nacrés...) avant - journal - écrire - après
|