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(un journal online)

 

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2 février 2002

l'amour en fuite

fin de nuit, réveil qui sonne, les premiers gestes : s'étirer, mettre un disque, ouvrir la fenêtre, allumer l'ordinateur. bain, mousse et musique, petit déjeuner (tartines de confiture, thé darjeeling léger, une orange pressée), vagabonder dans la maison les cheveux qui dégoulinent le kimono un peu flou autour des hanches, errer dans un reste de rêve, une impression de déjà-vu, quand il appelle je laisse sonner deux ou trois fois avant de répondre, un coup de brosse dans les cheveux un regard rapide au miroir, la journée commence à peine et elle commence avec lui, je décroche avec un baillement.

l'après-midi, dans les hangars. qu'est ce que je raconte, je suis restée toute la journée dans la maison, à lire madame bovary et puis aussi des morceaux de la correspondance de flaubert. donc : l'après-midi, à la maison. je pense à la seule fois de ma vie où je me suis fâchée avec Julie. en CM2 sous le préau tout neuf, je ne sais même plus pourquoi. elle parlait elle était rouge de colère debout en face de moi comme enragée. moi très calme assise le dos au mur, je laissais aller, j'étais trop triste pour discuter, une histoire sordide sans nul doute, une histoire de confiance éraflée ou de garçon c'est pareil, de ces histoires qui naissent plus souvent de la confusion et de la précipitation, des limites du langage, que d'un réel fait grave. triste j'étais tellement triste qu'elle me juge si mal quand elle me connaissait si bien, et ses mains sur mes épaules très serrées comme si elle allait me gifler, je n'aurais rien dit, peut être à peine pleuré, je n'aurais rien dit si elle l'avait fait, pas un mot méchant, rien, triste j'étais trop triste et déjà pourtant comme dépassée par la tristesse, emportée plus loin, plus haut, la regardant petite marionnette de dix ans s'agiter dans sa colère avec de grands yeux dépités, la voyant à peine tant déjà je me sentais lointaine, détachée de la vanité des amitiés des cours d'école à la récré.

plus tard, le soir, fanfares françaises et fancy fair à la fraise, à la sortie du concert d'alain souchon. je me fais l'effet d'une alien dans les sorties du samedi soir de la bourgeoisie huppée du quartier (parfums lourds talons qui claquent bijoux qui brillent et les types qui sentent l'after-shave, grand déguisement pour la distraction dite culturelle de la semaine), je me fais l'effet d'une alien avec ma bovary, mon carnet et mes jupes de laine bleues, genre je suis restée coincée au siècle dernier.
- ça manquait d'instrument à vents, dit une grosse dame joufflue, très sûre d'elle.
devant moi, deux types qui discutent :
- j'espère que la babysitter n'est pas en train de jouer avec mon nouveau lecteur DVD...
- ou alors peut être qu'elle regarde le film du soir sur XXL, chuchote son voisin (faux air entendu et rire gras comme il faut)
- pas possible, s'exclame le premier, j'ai du décommander, ma mère a insisté pour me payer l'abonnement cette année.
et il rajoute, contrarié : tu parles d'un cadeau de noël !
tout à l'heure, aux premiers mots de ultra moderne solitude, papa m'a pris la main en clignant de l'oeil : - tu te souviens, c'était ta préférée... il est très beau, mon père, il a les tempes grises et les yeux d'un enfant (verts). il parle avec une voix très douce, tout le temps, il sait quand je suis triste parce qu'il les sent aussi, les mille et une petites raisons d'être triste qui flottent dans l'air quelques fois, la brume blanche sur les arbres, la mémoire et la mer, l'éternelle impression que rien ne va durer. il est très beau, mon père, sur les photos anciennes il a les cheveux bruns, qui bouclent un peu sur son grand front, il a tout le temps l'air absent, détaché, et dans la foule des autres, parents amis grands-oncles et jeunes enfants, on ne voit que lui, pourtant. - c'est un peu un poète, souchon, dit papa, les textes sont toujours beaux, tu ne trouves pas ?

je pense à X. je vois un grand parc, un banc, la jupe de laine bleue de claude jade dans baisers volés, ce type fou qui parle pour ne rien dire. je dis : oui oui, sûrement.

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