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... living under glass

(un journal online)

 

water tango

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jeudi 14 février 2002

je me souviens de ma première nuit aux états-unis (août 97, j'avais seize ans). la maison très belle, pelouse immense et soignée, dans une résidence privée très upper-middle class au sud de kansas city. la porte de bois blanc, et puis le screen transparent, et puis la porte de verre. un grand hall avec du carrelage et des lustres, sur le côté des gravures indiennes, des plantes vertes, des miroirs. en face, de grands escaliers blancs, moquette partout, épaisse, très blanche et très douce, et puis un grand couloir, livres le long des murs, petites tables cirées, vases remplis de fleurs, des portes et des portes et enfin, tout au bout, ma porte. première nuit dans une chambre inconnue, une des chambres d'amis, comme on dit. une chambre qui n'existe que lorsqu'on en a besoin, une chambre que l'on n'habite pas vraiment, une ou deux fois l'an seulement.

et moi j'allais y vivre l'année entière.

c'était drôle de dormir dans ce grand lit inconnu la première nuit. il pleuvait, de grosses gouttes noires et des éclairs immenses, le grondement du tonnerre comme je devais ne le connaître que là-bas. c'était drôle d'être là, dans cette chambre inconnue, ce couvre-lit étrange en patchwork bleu, les armoires de bois brun (vides), le bureau impeccable (géométrie parfaite d'un bloc-note, un téléphone et une poignée de stylos), les murs blancs, le ronronnement régulier des pales du ventilateur au plafond.

j'avais un petit peu peur. d'un seul coup, j'étais seule, sans repères, sans histoire, sans langage. il y avait cette pluie folle qui battait les vitres et la forme sombre des arbres pliés sous le vent dans le jardin. le grondement furieux de l'orage. le clignotement bleu des gyrophares de police. la nuit.

et puis carolyn était montée, elle m'apportait de l'eau et des gâteaux, elle venait en fait me rassurer, voir si tout allait bien, il était minuit, une heure du matin, elle s'était assise à côté de moi dans sa chemise de nuit blanche et m'avait parlée tout doucement, longuement, jusqu'à l'apaisement, comme une vraie maman.

 

14 février 2002, les gens dans le train portent tous leur petit bouquet de fleurs, très fiers ils rentrent chez eux avec un petit bouquet de fleurs, pour se faire aimer légitimement (la radio a dit que aujourd'hui oui c'était permis, même obligatoire), ceux qui ont oublié leur bouquet réglementaire se dépêchent de faire comme tout le monde, histoire de ne pas passer pour des arriérés dans le train, de peur peut être même qu'on y montre les impies du doigt, avec une moue méchante, des regards plein de reproches, "quoi mais il n'aime pas, lui, il n'aime pas", alors vite ils fouillent dans leurs poches en toute hâte, en sortent une poignée d'euros en se disant que ça doit suffire, et s'achètent un petit bouquet de fleurs enveloppées de plastique, de toute façon il y a des vendeurs de fleurs partout, qui collent de petites étiquettes idiotes sur le papier transparent, qui collent des gommettes comme des enfants, des trucs qui disent "je t'aime" ou "je t'aimerai toujours" ou "je t'ai toujours aimée" (au féminin, bien sûr). moi, entre deux lectrices assidues de l'ange des ténèbres et madame figaro, je pense aux vacances, aux montagnes, la vue qui me coupera le souffle au réveil, et puis finalement l'air de rien j'appelle X : dis, tu veux bien être mon valentin ?

recréer un espace, une chambre à soi, c'est drôle, il n'y a plus mon rideau jaune près de l'ordinateur chez mes parents, il n'y a plus la haute fenêtre dans mon dos chez moi à paris, il n'y a que mon lit blanc dans ma chambre d'enfant, et un ordinateur portable tout beau tout neuf sur mes genoux. c'est difficile d'écrire alors, comme ça, sans les repères anciens, la lumière qui tombait exactement sur mes mains, sans les vieilles touches qui claquent, le ronronnement de la machine, c'est drôle oui c'est un nouvel espace à reconstruire, et pour le moment j'ai l'impression d'écrire en fraude, de faire mon lit dans une chambre qui n'est pas la mienne.

et je pense à ma première nuit américaine (non chéri, pas le film de truffaut). dix jours plus tard, j'avais rempli les placards, étalé mes affaires sur le bureau, chamboulé la place des meubles. la pièce sentait l'encens et le parfum de fille. la table de chevet débordait de bouquins. j'avais couvert les murs de photos, de lettres et de posters. carolyn, que j'appelais désormais mom, était rentrée en riant, elle était heureuse de toute cette agitation, l'agitation de mon arrivée dans sa maison, mes inscriptions à l'école du quartier, mes expériences toujours distrayantes dans la découverte de l'anglais, elle était heureuse, maintenant que rachel et leslie étaient parties à l'université à l'autre bout du pays et que steve passait son temps entre londres et tokyo, d'avoir quelqu'un avec elle, quelqu'un avec qui s'amuser, visiter des musées, aller au cinéma ou faire de la confiture de tomate verte, alors, entrant en riant comme elle riait toujours, elle avait regardé la chambre, la "chambre d'amis", et s'était exclamée : now, at last, it is somebody's room !

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