on est ce qu'on peut. S revient du restaurant
japonais avec son petit ami (un élève-ingénieur en informatique fan de manga qui croit
trouver l'exotisme oriental dans les usines à sushi qui ont envahi la rue monsieur le
prince). elle me raconte qu'il y avait un type louche pas très loin, un yakuza sans aucun
doute.
- ah bon, un vrai ?
- oui oui, me dit-elle, pantalon noir, chemise à motif en damier, cheveux gominés,
chaussures cirées, une allure de chat... la classe, quoi.
- ah oui, dis-je pas vraiment convaincue, et il était beau ?
elle se penche vers moi pour que Y n'entende pas :
- très. il était très très beau. je l'ai mangé des yeux tout le long du repas.
- et bien voilà ! dis-je avec triomphe, c'était un vrai alors.je lis sylvie à la poste. c'est un tout petit livre de la
collection mille et une nuit avec une très jolie couverture (deux filles nues dans un
dégradé de bleu). je suis rue des francs-bourgeois dans le marais, personne n'est
choqué (je dirai même - ça passe comme une lettre blablabla). plus tard, j'achète des
tas de vêtements de grand-mère. je veux dire, une jupe de petite fille modèle en laine
bleue, un gilet tricoté qui s'attache devant par une grosse aiguille à nourrice, une
autre jupe marron claire genre après-guerre, des tas de caracots, de trucs avec des bords
en guipure, bref, le genre de vêtements que mes grand-mères portaient à vingt ans. X
dit que j'ai un corps des années quarante. on dira que tout vient de là, de ce corps
hors du temps qui demande des tissus épais, doux, voluptueux à porter, des jupes aux
genoux, de la soie, des rubans. yves saint laurent dans ce gros livre rose sorti
récemment écrit noir sur blanc : quand on se sent bien dans un vêtement, tout peut
arriver. un bon vêtement, c'est un passeport pour le bonheur. plus tard, L rentre, je lui
dis que je n'ai pas réussi à déboucher la baignoire, que j'ai voulu ouvrir la bouteille
de destop mais qu'en lisant la notice j'ai vu que c'était plein de soude caustique, alors
j'ai pensé à madame bovary, tout le passage terrible de son agonie, j'en ai eu le coeur
retourné, c'était terrible, c'est tellement facile de se suicider, madame bovary le remake
buvant du destop dans sa salle de bain, le liquide gluant dans la gorge et les
vomissements de sang, les lèvres serrées, les membres crispés, le corps couvert de
taches brunes, et le pouls qui glisse sous les doigts comme un fil tendu, comme une corde
de harpe près de se rompre, bref, non tu ne peux pas prendre de bain maintenant la
baignoire est encore bouchée.
avant - journal
- écrire - après |