l'immédiate

journal d'O.

mardi 2 juillet 2002

ce que je voudrais, c'est pouvoir ne parler de rien, la brume, le vent, la poussière, ces choses que l'on écarte parce qu'on ne les voit pas, parce qu'on ne les attrape pas, qu'on ne peut pas les mettre en boîte et les étiqueter. je voudrais parler de ces choses-là, qui ne nous appartiennent pas : la brume, le vent, la vie.

ce que je voudrais aussi, c'est pouvoir parler de toutes ces choses que l'on croit insignifiantes, qui n'existent jamais qu'au seul moment de leur utilité soudaine dans notre vie si construite, si élaborée, mathématique jusqu'à la mort. ce que je voudrais, c'est parler de ces choses qui ne semblent pas avoir d'existence extérieure à notre désir, notre nécessité. ces choses-là existent pourtant, en dehors de moi, une vie que je ne connais pas. je voudrais pouvoir dire que la fleur, le miroir, la goutelette d'eau qui tombe du bord du toit ne m'intéressent pas qu'au moment x où je les vois. je voudrais pouvoir imaginer ce qu'elles font quand je ne suis pas là, quelle vie ont les objets quand j'ai le dos tourné.

ce que je voudrais encore, c'est parler des choses au moment où elles me rejoignent, au moment où elles viennent à moi, et les fils qu'elles tissent entre le monde et moi, au moment où elles s'élancent dans le futur comme des ponts, comme les mains du désir vers quelque chose qui n'est pas encore moi, qui le deviendra, ou pas. une robe rouge soigneusement pliée, un verre de vin. ces choses qui n'existent qu'en ce qu'elles m'appartiennent et me définissent. ces choses que l'on croit insignifiantes mais qui sont signes, signes de toute cette vie que je me construis, indissociables de mon désir. ce sont ces choses-là, au delà de tout, ces choses là emmenées dans mon langage qui disent à qui veut l'entendre ce que je suis ce que je veux. ce sont ces choses-là qui font mes attaches à la vie. je voudrais parler de ces choses-là au delà même d'une symbolique, d'une correspondance, d'un piètre rôle d'objet dans une perpétuelle mise en scène. je voudrais parler de ces choses-là en tant que choses devenues moi. mes rubans, mes bijoux, mes livres de chevet. je voudrais parler de tout cela parce que je ne crois pas au hasard. parce que la vie m'est avant tout matérielle. parce que c'est la plaie merveilleuse de ma souffrance quelques fois, ce léger fossé entre le monde réel et sa représentation dans mes rêves, mon corps, mon langage.

je voudrais dire que ce journal n'est pas un ensemble de petites choses plus ou moins bien écrites, bien polies, travaillées pour que rien ne dépasse, pour que rien ne coupe, n'abîme, ne casse. ce journal lui-même n'existe qu'en ce qu'il est moi. il n'existe que par mon écriture qui le définit, et je n'existe peut être que parce que je me suis créée, ou désirée en lui.

par la fenêtre, sur le fond gris jaspé du ciel, le rose des hortensias est de la plus belle indécence.

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