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dimanche 1er juin 2003

partir encore - j'ai épuisé maintenant peut être toute l'espérance folle du départ, toute sa part cachée de mystère, les hommes aux yeux filants dans les trains de la nuit. partir - de tout temps l'urgence du départ c'était celle de la survie, l'effacement de soi-même dans le langage de l'autre, ses villes et ses déserts, à dix-sept ans les bras d'un jeune américain aux yeux bleus c'était les bras du nouveau monde, le rêve arraché à la vie. on touchait la couleur. on goûtait les aubes claires. le soir, sur les terrasses en bord de lac, la chaleur nous descendait à grandes goulées dans la gorge. je dansais tête renversée dans la musique. l'été sentait l'eau fade et les herbes coupées. je me souviens de la maison, blanche avec des rideaux de toile de jouy rouge, des canapés en cuir, le parquet qui grinçait, le petit bruit de la glace dans les verres, quand traversant la pièce pour aller mettre un disque il avait pris ma main et puis le monde tournait.

 

lundi 2 juin 2003

les tangos lents de Piazzolla. vous peignez mes cheveux. je fais mon cinéma. comme c'est petit, comme c'est mesquin, la passion pure et l'amour fou ! plus tard au téléphone je vous dis des choses horribles et suis très fière de moi. le mal fou qu'on se fait, à s'aimer en secret. c'est le temps qui nous manque et puis surtout nous ronge, nous a déjà rongés.

 

mardi 3 juin 2003

le soir dans les jardins, les fontaines, assise adolescente sur un banc (les fesses sur le rebord du dossier) je regarde les fenêtres s'éteindre et s'allumer dans les maisons. un type passe, complet-cravate, j'en ai vu dix comme lui dans la journée - si la vie était un film il y aurait toujours ce personnage étrange et récurrent, sérieux, visage vidé, la main serrée sur sa mallette, qui passerait comme un automate dans le fond, insensément. quelque part un enfant pleure. une femme ferme ses volets. j'aime bien cette maison aux balustrades en fer forgé - dans la lumière du rez-de-chaussée on entrevoit les silhouettes mêlées d'une fête - quelqu'un passe tenant un gros bouquet de fleurs - les lumières bougent - comme la nuit est tranquille, silencieuse et vivante - comme la nuit est belle - vue de l'extérieur.

 

mercredi 4 juin 2003

doucement les lys s'ouvrent et leur odeur alors prend toute la place dans la pièce. je longe un peu les murs. j'aime les lys, hautains et sans pareils, leur insupportable splendeur. la pluie battante, brûlante, ce matin je le crois m'a sauvée d'un long jour de détresse. à la fac j'ai cru gifler un type. je me sentais très dangereuse. le midi L dormait dans la chaleur. je suis allée lui chercher des cerises. la ville bougeait doucement. il y avait des types de la ratp en brassards qui distribuaient des tracts dans la rue. je suis restée un long moment à parler avec eux. on était d'accord sur tout. un homme leur a crié qu'ils emmerdaient le monde. ils ont haussé vaguement les épaules. je suis allée acheter des livres. au retour, ils m'ont payé un café.

 

jeudi 5 juin 2003

de la tristesse encore, à ne plus savoir qu'en faire. je navigue doucement dans la chaleur. j'aime les parfums pour homme, le bruit sourd de la ville, la très légère ivresse aux dessus des terrasses. je lis Baudelaire, les petits poèmes en prose, et Walter Benjamin. le vin, le maquillage, les parfums forts, l'ennui et la désinvolture, il n'y a que ça de vrai. les rêves sombres et prégnants. le grand calice des fleurs, doré à l'intérieur. les hommes aux yeux de chat. la peau brûlante des femmes. le satin et la soie. Des Esseintes qui s'en va en voyage en Angleterre pas plus loin que les fumées corsées des pubs de Denfert. tout est là, dans ces mers que l'on rêve, immenses et d'une seule peau. la nuit et puis la pluie seules bercent nos sommeils. penchée lasse au terrasses je joue comme un petit chat avec l'idée du vide. ma peau m'enivre un peu. à dix heures je suis folle - la lumière tombe d'un coup et puis emporte la ville.

 

vendredi 6 juin 2003

les lys sont immenses maintenant. belles fleurs montrueuses et royales. à minuit je tombais de tristesse et d'ardeur mélangées. je pensais aux médicaments. L a téléphoné. j'ai mis la robe qu'elle aime, noire à col blanc, coupe courrèges, courte et cintrée. c'était un vendredi soir au batofar. gin, foule folle et électro. la lumière flottante et puis dansante sur l'eau. c'était un peu facile de se perdre. un peu facile de renverser la tête dans la nuit chaude et les regards. je fermais les yeux pour ne pas pleurer. toujours cette violence intérieure, cette violence folle vers moi-même, quand tout me prend dans la nuit, quand tout m'emporte à l'infini, est-ce que ça ne s'arrêtera donc jamais ? il y avait un type assis sur le côté, un type avec des yeux bleus qui ressemblait à jonathan rhys meyers dans un quelconque navet. il avait l'air seul comme moi dans la foule. j'ai pensé qu'il fallait que je quitte Paris.

 

samedi 7 juin 2003

l'Italie douce, celle des plages blanches ourlée de la très légère ombre des montagnes, c'est celle-là dont je me souviens. on restait des heures aux fenêtres, les jambes ballantes dans le vide, buvant l'eau fraîche des pichets de terre cuite, le rouge brillant des campari. Julie ne portait que des robes à carreaux cette année-là. elle bronzait mieux que moi. c'était l'été de nos quinze ans. je croyais découvrir la lumière. Florence n'était que nuances et couleurs. la cathédrale me subjuguait. j'aimais me perdre dans les cours sombres et dallées des musées. au Vatican, la chapelle Sixtine me faisait l'effet d'un hall de gare. sur les cartes anciennes la Corse était toujours peinte à l'envers. je me baignais la nuit dans les eaux chaudes de Napoli. le Vésuve était un beau monstre endormi. à Pompéi je pleurais dans les rues. je ne connaissais rien de la vie. je n'avais jamais vu un film de Fellini. je ne savais pas à quoi ressemblait Marcello Mastroianni. à Rome, un peu folle et heureuse, je jetais toutes mes pièces dans la fontaine de Trevi.

 

dimanche 8 juin 2003

rêve : le soir tu couches ton front aux croisées des fenêtres, aux margelles dures des puits, les deux lunes de peau claire de mes paumes à tes yeux - tu dis : ailleurs, alors, peut être ? nous partons. nous partons dans la nuit et le vent fait tourner dans une ronde folle les murs et les maisons, les vitres et les eaux mortes, tout ce qui existe à une place donnée seulement dans l'espace et l'instant. le vent épargne les voyageurs et puis les malheureux. il épargne tout ceux qui ne sont de nulle part.

 

lundi 9 juin 2003

ce que je veux c'est un complice, un allié à la vie, quelqu'un qui donne l'épaule comme on dit d'une danseuse de tango qu'elle donne le dos - en rythme et en accord, pure confiance, sans à-coups.

 

mardi 10 juin 2003

les lys sont morts mais leur pollen très fort reste encore comme une flamme jaune et profonde dans la peau, longtemps.

partir j'y pense encore pour noyer comme avant la tristesse au lointain - partir en avant à nouveau mais peut être que ça ne sera plus jamais désormais qu'un éternel départ à l'envers : toute ma vie ce que je vais chercher c'est l'illusion folle de l'enfance, les couleurs disparues, les fleurs qui ont fané, toutes ces choses mortes et qui pourtant pour moi ne le seront jamais. il faudrait pouvoir réinventer les couleurs. il faudrait pouvoir retrouver l'insouciance. voleuse de feu, rallumer les flambeaux la nuit dans les forêts pétrifiées par le gel, les processions magiques. il faudrait pouvoir écrire. Proust tout seul dans sa chambre se pâmait du parfum tendre des aubépines de l'enfance. Proust a tout réinventé de la nostalgie à la vie. tout est inscrit à l'intérieur même du signe chez Proust, tout est figé dans la finesse parfaite de la corolle des fleurs ou bien la gélatine épaisse des pâtés de Françoise. les dessins de l'enfance se sont peints pour toujours dans l'imaginaire dévôt des vitraux de l'église de Combray. les diamants brillent, morceaux de carbone morts comme les femmes qui les portent - ces femmes serties sur les châtons de leurs bagues, enchassées en elles-mêmes, prisonnières du rêve et du souvenir d'un autre.

rien ne suffira jamais du présent. il va falloir réinventer toutes les formes, les mouvements. écrire, ou bien alors faire un enfant. le désir d'écriture et de progéniture (mot horrible) : même rivière traversante qui prend sa source bien loin dans l'inconscient et puis me dépasse, me déborde pareillement.

 

mercredi 11 juin 2003

l'enthousiasme revient avec le petit matin. eau fraîche, du thé, des livres partout, mes alliés. j'ai relu les toutes dernières pages du journal d'hervé guibert et j'ai pleuré, beaucoup, mais ça n'était pas grave, parce que les mots brillaient, tout brillait de partout. il y a des gens qui auront laissé une grande trace derrière eux, une brûlure. le midi je retrouve Cécile songeuse et de nouveau penchant la tête comme les fleurs vers la lumière. je pense à la lettre superbe arrivée tout à l'heure, mon coeur heureux et renversé. je voudrais un type calme lui dis-je, un type qui soit la simplicité incarnée. - comme mon père... soupire-t-elle, ou comme le tien ! on rit. on marche dans les allées poussiéreuses du luco. le soir, au ciné, ovation pour fellini à la projection de huit et demi. je veux bien être anouk aimée dans une autre vie.

 

jeudi 12 juin 2003

le chauffeur du 47 me raconte qu'il s'est fait convoquer parce qu'il chantait dans le bus. des gens avaient écrit. personne ne l'a soutenu. il me dit qu'il va partir, qu'il a économisé, il pense au Canada. là-bas les gens sont plus relax. il y a des femmes enceintes partout, il fait un bazar pas possible pour qu'elles puissent toutes s'asseoir. des filles le regardent. les gens ont tellement peur, ils ne pensent qu'à eux, vous vous êtes étudiante ? il regarde mes mains, la droite toute tâchée d'encre. c'est terrible de conduire pour les autres, tout seul tout le temps dans la foule. je tangue un peu avec le bruit et la fatigue. les avenues sont des fleuves de voitures. on avance au ralenti. c'est beau ça dit-il le plus simplement du monde, c'est la vie, les mains d'une jolie fille qui écrit.

 

vendredi 13 juin 2003

dîner chez mon oncle. les enfants rient dans les couloirs. Vassili me touche les cheveux. je m'endors sur la méridienne rouge. C est là dont on ne sait jamais ce qu'il pense ou s'il rit. ses mains abîmées, tâchées encore de peinture, que j'ai tout le temps envie de toucher. on boit du vin rosé très frais. les échos d'une fête de quartier remontent de la rue. c'est le début de l'été à Paris. les gens ont l'air heureux. j'ai aimé tout à l'heure voir Jérôme sous les grands arbres, et marcher avec lui dans la ville. au tout petit café de la rue de Fleurus j'ai bu un coca avec une paille parce que les banquettes, la peinture jaune, les petites salières dans les plateaux en plastique, tout ressemblait à un diner de bord de highway, ville profonde, la plaine et la poussière, Oklahoma City ou bien encore Twin Peaks. Jérôme buvait sa noisette. je lui ai dit que je voulais écrire sa biographie.

 

samedi 14 juin 2003

Pola X. toujours le même abattement à la lumière. la première fois que j'ai vu ce film c'était la version télé qui passait sur arte, c'était en mai je m'en souviens, mai 2001, je finissais mon hypokhâgne, je souffrais en silence, un peu folle et violente je me préparais à larguer les amarres pour la Turquie, il y avait ce film étrange tard le soir avec sa lumière blanche brûlante sur les pelouses vertes et soignées, Jérôme Attal passait chez Levaillant la même nuit, sous les étoiles exactement.

Pola X ou Pierre ou les ambiguités ou bien même encore : Hamlet's sister. une certaine révélation de la violence. on oublie trop vite les tourbillons qui nous emportent. on confond le mouvement de son corps dans celui de la ville. les balanciers fous des horloges. la couleur comme une lame toujours qui nous vient par les yeux, qui détruit, on n'y voit que du feu. la foule, les flammes, le bruit. tout le temps malmenée par les routes, la vitesse, l'arrivée brûlante des voitures dans la nuit, leurs longs traits de fusée - un peu folle je marche sur le rebord plus foncé des trottoirs - c'est si facile de glisser. on croit connaître la douceur parce qu'on a le confort. on croit vivre protégé parce qu'on vit dans le mythe. les affiches du métro, indécentes, intolérables, sont devenues un décor régulier. c'est si facile encore. je marche dans les rues et les rues vont bien plus vite que moi - la foule d'un seul mouvement les immeubles trop grands le vertige à la vie et l'air qui brûle la peau : ma peau un élément comme un autre du même immense décor. je marche dans les rues et les rues toutes entières immenses et belles m'enivrent - du tout au tout brusquement la même violence me plaît et me fascine, je tangue avec la ville, tête penchée aux fenêtres ou bien du haut des terrasses étoilées, toute entière projetée dans la vitesse, l'inconscience, le danger : je cherche le point de chute, la rupture, mon propre achèvement au néant.

Pola X c'est le monde en violence à chaque image, et pas tant la violence culturelle, sociale, que la violence première, mécanique, violence des sens. le froid. la peur. le noir. les forêts sombres où errent les cauchemars et les loups. le crissement fort du fer, des rails, des machines, des usines en travail. l'inconnu violent du corps de l'autre. sa présence folle au monde. les signes indéchiffrables, les signes qui se dédoublent quand ils se font spectacle. l'inutilité du combat. la femme-soeur qui est là dans le sang et l'amour mais dont la peau toute entière, quand bien même serrée jusqu'à croire la faire sienne, fera toujours barrière.

The time is out of joint : O cursed spite,
That ever I was born to set it right !
-
Shakespeare - Hamlet

 

dimanche 15 juin 2003

les deux pieds sur le rebord de la table, on regarde des photos, j'aperçois mon visage sur toutes celles de ma mère.

 

lundi 16 juin 2003

j'alterne les moments de grande joie et les petites décadences, je sais bien qu'à faire tourner le monde autour de moi et mes impossibles amours je vais me brûler sans grand sens, je m'en fous - il n'y a rien au monde qui m'intéresse vraiment que les morceaux de lumière arrachés à la nuit, les éclairs les étoiles les voies lactées pavées qui s'étalent loin en avant et qui sont mes voyages, les fusées, les lunes plates, les météores fous dans l'espace qui m'arrachent le coeur au passage, les trous noirs du silence les fontaines blanches divines laiteuses miltoniennes paradisiaques les innocences de dernière minute les amours folles le silence immense de la mer quand flamboyants et souverains s'y engouffrent tout d'un coup les soleils.

la nuit je rêve la coque noire d'un bateau et l'eau qui bat aux flancs - lumières, musique, flamèches courant dans l'air et mes cheveux - je danse avec lui, le garçon silencieux, je le regarde émerveillée, il faut que tu existes, tu ne peux qu'exister, je t'ai tellement rêvé.

 

mardi 17 juin 2003

aventures de ville : le ciel sublime d'orage et puis B qui s'exclame c'est la révolution ! je fais un peu la poseuse ("ah oui vous avez aimé Dolls ? moi je me suis endormie"). à table un directeur de je-ne-sais-quoi s'interroge sur la meilleure façon d'éradiquer les hannetons de son jardin et je m'étouffe discrètement (combien de gens en grève encore aujourd'hui ?). dans la rue un type me déclare qu'il est prêt à me suivre jusqu'au bout du monde. c'est tout à mon honneur lui dis-je mais pour vous j'ai bien peur que le bout du monde soit au bout de la rue, ce qui, vous en conviendrez, est déjà l'aventure ! il insiste. si encore il avait un pardessus gris avec une grosse ceinture comme dans Baisers Volés ! je comprends me dirait-il froidement, je comprends que vous désirez rompre des liens provisoires, qui vous attachent à des personnes provisoires, moi je suis définitif ... bref. je lis Barthes, eros solaire et sororal, soro quoi ? demande S. Bart Simpson ? demande T.

je crois que l'époque est foutue.

 

mercredi 18 juin 2003

le très léger décalage, lorsqu'il s'agit encore une fois de se hisser hors du rêve jusqu'à la vie moite et bruyante du matin. un temps particulier défait du temps compté et de lui-même, le seul moment de la vie peut être où les mots viennent en nudité.

j'écoute coltrane, je danse un peu toute seule. la douceur...

 

jeudi 19 juin 2003

le garçon silencieux, rêvé de toujours, attendu à la vie et tant aimé - je lui dessine des bouches et des visages dans le sommeil, des yeux comme des planètes, cheveux noirs à la nuit et ses mains dans les miennes. j'y crois encore. je ne peux pas cesser d'y croire. il est là dans mon corps comme les enfants futurs, comme les livres, comme le sang fort et rouge et mon coeur dans l'ampleur, il est là filigrane sur ma peau, puissant comme les lilas la nuit dans les jardins, lisse et fuyant comme l'eau. il faut qu'il vienne et qu'on marche dans les rues, dans les forêts la nuit, qu'on s'en aille éperdus jusqu'à tomber peut être, jusqu'à n'en plus pouvoir du monde et de la vie. j'ai le coeur en lambeaux et la peau très profonde, je n'ai plus peur de rien. je l'attends langoureuse dans le désir des autres, passionnée d'un instant et puis déçue soudain, je l'attends à la nuit et à l'eau des fontaines, toute ma peau un appel pour qu'il sache et qu'il sente, pour qu'il me vienne enfin.

 

vendredi 20 juin 2003

librairie compagnie, 18h - le sourire de ce type sur le pas de la porte, ralenti comme en rêve, je le regarde d'un autre monde, bouleversée. j'ai remonté la rue des écoles en courant, jétais folle de bonheur brusquement dans la lumière et le soleil, la ville toute entière me prenait. en terrasse monsieur Jacques me découpe des tranches de melon qu'il pique dans du jambon. il me parle de l'automne sur l'île saint-louis. je pense à Aurélien, le M veineux de la Seine... Cécile arrive. la lumière s'efface dans sa propre couleur. je tangue avec la nuit. le vin fait une tache violente sur ma jupe blanche - le prix à payer pour sauver le divin marquis d'une bouteille de Saumur bien frais. on m'amène du champagne, pour me consoler. j'ai toute la vie dans ma poitrine. tout à l'heure quand je suis arrivée au café, un paquet m'attendait. j'ai souri comme jamais.

 

samedi 21 juin 2003

je dîne toute seule de saumon, de pêches cuites et de gin. je porte une grande robe noire de danseuse, bustier dolce vita. je sors dans le jazz calme de la nuit. rue de Fleurus et tout le long du Luxembourg l'envie de rire sans cesse et sans raison. il est minuit. la ville crépite de musique et de bruit. je fuis les terrasses bondées pour l'intérieur tamisé des cafés. quand il arrive je sais tout de suite que l'on est du même côté de la vie.

 

dimanche 22 juin 2003

Breton, dans les Pas Perdus :

chaque nuit je laissais grand ouverte la porte de la chambre que j'occupais à l'hôtel dans l'espoir de m'éveiller enfin du côté d'une compagne que je n'eusse pas choisie.

 

lundi 23 juin 2003

je mets mon réveil très tôt pour demain, très tôt pour pouvoir errer d'abord longtemps dans les premières lumières, puis les livres et le bain, rêver sur le balcon et aux vitres des bus, chercher là dans la ville tout ce que je ne connais pas et qui m'attend comme telle, qui m'appartient déjà. cette phrase étrange toute la journée, cette phrase inconnue, essoufflée, il y avait un moment dans l'après-midi où j'aurais pu fondre en larmes, sans tristesse, sans raison, sans pudeur même, un moment de vide et qui sonnait soudain dans le silence un peu comme une caisse claire, une semonce - une colère de nulle part et puis à peine mienne. un type me regardait dans le miroir de la vitre. je suis descendue à concorde. les affiches étaient taggées partout. je tanguais comme la mer. ma jupe m'agaçait. la phrase errait doucement, arrachée d'une chanson, j'étais perdue au monde, je m'accrochais à ça, à la surface lisse et plane des couloirs, de la foule, des murs blancs, même décor extérieur, le monde entier comme ivre une toupie dans mon corps, et je voulais qu'on me serre fort, je voulais tout de suite qu'on me sauve, qu'on m'emmène à la nuit sans un bruit, sans un heurt, comme une caresse ou un murmure : you don't know how lovely you are...

 

mardi 24 juin 2003

abattue de fatigue et je vais dans la ville avec des lunettes noires, des foulards, Jerome David Salinger. je suis invitée à des fêtes, des cocktails, des trucs où il m'attend et je ne viendrai pas. la foule me dégoûte un peu dans la chaleur, je voudrais toute la nuit, le silence, la douceur, marcher et puis c'est tout, qu'à un moment enfin quelqu'un m'offre ses bras. l'été est sublime et puis vain. l'été mon corps me tue à la fatigue. je ne reconnais plus rien. dans quelques jours j'aurai quitté Paris.

 

mercredi 25 juin 2003

italienne, romaine sans doute dit-il, espagnole diront d'autres et puis je me souviens de Th : toi tu es de partout. française de famille ne veut rien dire du tout pour quiconque a vécu (voyagé) quand bien même ladite famille remonte à des montagnes, des lieux-dits, des terres profondes, de valeureux comtes tués en duel pour un couple de mauvais vers et puis jeté à l'eau sale des fossés - parisienne alors sans doute et puis de toutes les villes, de toutes les mers, toutes les révolutions, de là où naît le flot au coeur et qui prend toute entière. je ne m'arrête à rien, je n'ai d'attaches nulle part, il n'existera jamais hors du rêve et de la nuit, celui qui me tiendra à lui.

 

jeudi 26 juin 2003

on voudrait être libre, on se trompe de combat, on se disperse à tout vent et tant pis ça ira - je pose mon doigt au hasard sur des cartes, la bienséance des couples établis me dégoûte, je le suivrais bien jusqu'au dehors le jeune homme à pull bleu du métro, là-haut dans la lumière toucher ses mains goûter sa bouche et puis se perdre encore dans l'illusion du corps, tout noyer à la peau - je navigue en aveugle, je louvoie à la foule, la ville et la vitesse m'entraînent loin en avant : il n'y a rien, rien d'autre que l'air puissant, la nuit, les rivières froides, ma poitrine de jeune folle et qui demande le monde.

 

samedi 28 juin 2003

la maison me rappelle india song, et la musique aussi, les disques de jazz et le piano lointain, L qui penche la tête aux alcools forts et qui me tend ses bras. on traîne un peu dans la chaleur aux abords des terrasses, sur le parquet craquant danser abandonnée au cou de JL, presque rêvante en son corps plein, et puis après très vite le jardin, les fleurs en couronnes claires, l'herbe séchée de juin, l'odeur de l'eau et des fruits rouges, tomber à la renverse dans l'ombre verte des fourrés. L change de disque, elle danse pieds nus encore, elle me regarde, elle a sa bouche tendre des grands jours. on ne sait plus alors si le monde existe. je cède à la douceur, le cuir des canapés, le vin rouge et puis les grandes fleurs folles dans les vases, tu seras là toujours? demande-t-elle comme inquiète et je dis : jusqu'au bout, jusqu'au bout oui sans nul doute et puis tandis qu'elle danse je la regarde et pense à sa peau sans limites, à la mienne qui la suit, et puis la toute-puissance. la nuit tombe plus loin encore et c'est l'heure de la salle de bains des filles et des fous rires, on glisse un peu ivres et douces folles dans les escaliers, on se retient les unes les autres se serrant fort au coeur et peut être c'est ça, l'amitié ? j'adore le jardin froid et la lune ronde comme un plat, Cécile qui rit et puis qui fait l'enfant, les dernières valses au piano, le café à la main danser encore un peu tête renversée, on s'aime ensemble dans les verrières, les petits carreaux art déco de couleur, on a l'âge fou des tristesses montantes comme les marées et des amours splendeurs.

 

dimanche 29 juin 2003

au matin quand tout le monde déjeunait dehors je suis restée un long moment toute seule rêvant dans la maison, et pensant aux enfants. une petite fille qui me ressemblera ou pas, un petit garçon au regard étonné - de tout temps il faudra faire toutes les choses avec joie, et puis chaque jour une fête, être curieux de tout, s'abandonner au monde, goûter toutes les couleurs et les lumières aussi. il n'y a pas de vérité, et il ne peut pas y avoir de malheur, si il y a la confiance. on ira se promener dans la ville et les champs, apprendre le bleu fumée des cheminées l'hiver dans les belles maisons rouges des arrière-grands-parents, l'odeur des animaux, la paille sèche des chemins, le chant fou des rivières qui coulent jusque sous la peau. on fera de grands feux où brûler nos tristesses, et du pain jaune très doux doré aux fours anciens, des confitures de rêves où tremper tout un doigt et puis rigoler fort de n'être coupable de rien, d'être puissant de tout, d'appartenir à soi seul et puis au monde aussi, d'être vivant tellement de s'user aux fontaines, à l'eau froide des torrents, couler dans son propre courant, toujours confiant.

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vers le mois de juillet...

 

 

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