breathing under water...

(le journal d'ophélia)

lundi 6 mai 2002

c'est une soirée comme les autres, un samedi soir dans une belle maison bourgeoise de lointaine banlieue, des verres de sangria dispersés un peu partout sur les bords de cheminée et puis les tables basses, face à la baie vitrée un grand miroir ancien et puis un énorme bouquet de lilas violets, on aperçoit dehors le rectangle phosphorescent de la piscine, un vrai décor de magazine, quelqu'un dit : la mère de R est rédactrice à ELLE.

c'est une soirée comme les autres, pourquoi me revient-elle maintenant ? j'ai dix-sept, dix huit ans. je viens tout juste de passer mon oral de français. je change de chéri plus souvent qu'ils ne changent de chemise. je suis venue à pied, avec L, dans la chaleur douce de la nuit. je lui tiens la main dans le noir. j'ai cette certitude folle, extraordinaire, toujours quand elle est avec moi, d'un certain accomplissement.

je suis venue à pied, avec L, et le frère de R est venu à notre rencontre à cheval dans les chemins, j'ai raconté à L que R était mon amoureux de l'école primaire, à l'occasion des galas de danse de fin d'année quand sa mère qui organisait tout cela l'emmenait avec elle dans les coulisses les froufrous les secrets il se perdait dans l'agitation les rubans les poussières de cellophane, à l'abri des autres toujours je le laissais agrafer mon tutu attacher mes pointes et puis lisser du plat de la main l'ombre lourde de mon chignon, c'était comme un rituel chaque année je n'aurais jamais pu monter sur scène sans l'avoir vu avant, une seule année une seule il n'avait pas pu venir il avait fait porter un bouquet, toute la classe nous attendait le lundi suivant pour tirer cette histoire au clair à coup d'action ou vérité.

un samedi soir dans une belle maison bourgeoise de lointaine banlieue. c'était une soirée comme tant d'autres, pourquoi me revient-elle maintenant ? au moment où nous poussons la grille de fer forgé du jardin, j'ai l'impression que le fer s'enroule autour de mes poignets comme d'impossibles fleurs. R est dans le jardin, assis sur le parapet de pierre et nous tourne le dos, il a les cheveux noirs et tient un verre de sangria rouge sanguin dans une main, d'un geste enfantin il laisse traîner ses pieds dans le bleu phosphorescent de la piscine.

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