breathing under water...

(le journal d'ophélia)

mercredi 8 mai 2002

je voudrais qu'il enserre mes poignets de ses deux mains, ses deux mains blanches, impossibles, ses longs doigts de fer forgé. qu'il serre et qu'il serre encore, à m'étouffer. sous l'ombre lourde des arbres des jardins du luxembourg, quand je vais voir Betty, la vieille Betty aux yeux fardés, je lui donne un panier de choses à manger et puis elle prend ma main, elle lisse la paume de ma main entre ses doigts ridés, ses petits doigts sales, fourbus et abîmés, ses doigts qu'elle continue à colorier d'un vieux vernis rose éventé, et elle me dit : vos mains sont comme des fleurs. je dis : oui, et j'effeuille les histoires d'amour comme des marguerites. elle rit. elle est incroyable, Betty, elle marche à petits pas dans les allées, la tête haute dans la misère, elle s'en va toute seule abandonnée dans la vie, la vie terrible de ceux qui n'ont nulle part où aller. quand elle prend ma main elle la lisse comme une feuille pour la lire, elle fait semblant de se concentrer, elle suit du doigts les lignes et les creux en faisant hum hum et puis elle me dit sur un demi-ton de reproche : il serait peut être temps d'éclore. je ris. elle rit aussi et son visage abîmé, raviné, se fend comme un fruit. elle a le visage détruit par le froid la misère et le temps, Betty. elle a des yeux sombres et superbes comme des puits sans fond. quelqu'un m'a dit l'autre jour qu'elle avait posé pour Picasso dans sa jeunesse.

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