l'immédiate

journal d'O.

lundi 26 août 2002

je n'appartiens pas à ce journal. on ne me connaît pas par ce journal. lire ces lignes et croire qu'on peut me lire ainsi à bras ouverts est un leurre. c'est un mensonge. je n'appartiens pas à ce journal, je n'appartiens à personne, je ne suis pas restrictible à l'avis bien éclairé que l'on se fait de moi en lisant trois lignes deux virgules un bout de titre bien écrit en gris sur blanc, bien serré bien droit.

écrivant ce journal tous les jours je me heurte à ma propre étendue, ma propre immensité, un jeu de miroirs, un rubikub, ce que vous voulez. pour rire un jour j'avais mis en exergue de la page ego (elle-même absurde par définition) cette phrase de marguerite duras : c'est comme vous voulez. les gens sont des idiots qui croient que cela puisse seulement être vrai. je n'appartiens pas à ce journal. je n'y écris pas la moitié de ce qui se passe, ou pas. je n'y écris rien. je le tiens comme je vis ma vie, bride abattue sans savoir où je vais, et c'est très bien.

je ne suis pas un personnage de roman. je n'ai pas de vue globale sur ce que je suis, où je vais, d'où je viens. il n'y a pas de vue globale il n'y a pas de structure intérieure à trouver avant le point final, ma propre mort exaucée. je ne suis pas un personnage de roman. l'écriture de soi au jour le jour dans la douleur aigüe de la fin d'un amour ou l'émerveillement pur d'être seulement vivante s'écrit par jets, par emportées, déportements, un jeu terrible, une corrida. l'écriture de soi ça n'est pas l'écriture d'un roman. ça n'est pas peaufiner un style et puis une cohérence, un ensemble bien lissé. ça n'est pas se classer à une école littéraire, une génération, ça n'est pas répondre à un projet. j'écris comme la vie vient. je fais ce choix cet abandon total de moi, ce don du corps et du coeur à un flux intérieur, un mouvement terrible qui s'en va sur le temps. je ne travaille pas l'enchaînement des jours comme des raccords de chapitre. je m'en fiche si ça ne colle pas, si ça ne se suit pas. je ne suis pas un personnage de papier. j'ai un corps qui me dépasse, de la peur et de l'amour à revendre, j'ai la lumière dans les cheveux et puis le coeur qui bat trop fort. je tombe d'amour comme je tombe de tristesse. je vis dans l'immédiateté totale de la vie. une grande vague. je vis dans l'exigence absolue du meilleur, du plus fort, je veux la couleur à tout prix, je veux la couleur saturée. je tente le jeu de l'écriture pour me sauver et à chaque mot me heurte à ma propre impossibilité.

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