l'immédiate

journal d'O.

samedi 28 septembre 2002

comme une funambule dans un vieux jean sur le bord blanc du chemin, sur les photos les albums je suis ici pareille les deux bras écartés les cheveux dans le vent avec une robe à volants, je souris doucement en regardant ailleurs, à l'époque j'étais amoureuse, très amoureuse du garçon qui vivait à côté. j'ai oublié son nom, j'ai gardé quelque chose comme la couleur de ses yeux, ou celle de sa chemise, un bleu lointain et délavé. il était plus vieux que moi, il se planquait sous les haies pour me regarder passer fière et indifférente sur mon petit vélo à roulettes, un jour il m'avait fait dire par mon cousin que quelque chose était caché pour moi dans la fissure rouge de sève du vieil arbre du chemin, j'y allais avec la nuit tombée, trouvais une lettre à l'encre bleue et comme un peu délavée, je l'ai perdue depuis, j'en ai reçu d'autres aussi. au collège, Julie et moi avions instauré le rituel dit de la poubelle, rituel hautement élaboré qui consistait à faire le tri dans nos amants selon la règle suivante : d'un côté les lettres gardées dans des boîtes à chaussures, soigneusement archivées ; de l'autre les lettres découpées avec précaution selon les lignes bleues des feuilles ou des cahiers, puis renfermées dans leur enveloppe et jetées dans la grosse poubelle jaune sur le parvis pavé de la cathédrale, avec l'incantation précise : et tiens, hop, voilà pour toi, disparition ! c'était une poubelle tout ce qu'il y a de plus commun et dont nous seules connaissions le secret, rétrospectivement et non sans sourire je dirai, c'était, déjà, la poubelle des sales types. il arrivait souvent, à chaque rupture ou déception en vérité, que les belles lettres archivées et autrefois tendrement aimées aillent rejoindre les détritus du fond de la poubelle d'un très leste coup de poignet (il y avait un coup à prendre, oui). nous y jetions aussi, et tout aussi scrupuleusement, les cadeaux de la saint-valentin : peluches, colliers et autres trucs avec des coeurs dorés. lorsque Julie déménagea, nous prîmes l'habitude de nous demander de temps à autres : bon tu vas bien, tes parents vont bien, ah oui, ah tiens, et tu as jeté des trucs récemment ? malgré son grave accident de cheval, l'arrêt total de ses compétitions et puis son brusque déménagement, je ne m'inquiétais jamais tant d'elle que le jour où elle me confia, un peu honteuse, qu'elle n'avait rien jeté depuis plus de deux ans.

ce jour-là j'appelais Aure catastrophée : je crois que Julie va se marier !

et puis, attendrie, je pensais que j'avais moi-même arrêté de sacrifier au rituel de la poubelle, ce qui somme toute tombait à pic, puisque si je devais jamais jeter toutes les choses que X m'avait données, il y aurait eu de quoi remplir trois camions poubelles, à ras-bord.

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