l'immédiate
journal d'O.

 

 

la liberté, ou bien ce qui s'en rapproche le plus

12.10.03

il y a eu un moment dans l'enfance où j'ai compris qu'un jour j'allais mourir et puis peut être alors ce jour-là j'ai été libre. en Grèce il y avait la lumière blanche, le corps d'ombre de la mer, la rigueur de la pierre : j'apprenais la splendeur. le soir dans les hôtels, je riais, je pleurais, je voulais me jeter par dessus les balustrades. je connaissais le corps de M - sombre, tendre et félin - je l'aimais. j'avais quinze ans. je comprenais d'un coup, comme frappée par la foudre, l'éternel de la mer, la brûlure folle du corps, la puissance de l'instant dans le compte à rebours. je filais comme une flamme. plus tard, aux Etats-Unis, il y avait l'air lourd, étonnamment épais, qu'il fallait fendre avec effort à chacun de ses geste, qui me donnait un corps et puis qui m'enivrait. je dormais dans des nuits douces et toutes brillantes d'étoiles, bercée de mes désirs. à Paris, à vingt ans, de bras en bras et puis de film en film, la vie était un feu de joie - je m'y jetais entière, les yeux fous, gorge renversée. j'arrêtais d'aller à l'école. je disais que je n'avais pas le temps, pas de temps à perdre, c'était vrai, je traînais dans les livres, les couleurs, les images, les formes et les structures, l'herbe trop verte des prés de blé tendre au printemps qui appellent la chute et puis l'engloutissement. je pensais à la mort, je pense à la mort tout le temps. N disait tu es folle, tu ne t'arrêtes à rien, tu ne peux pas vivre comme ça. j'écrivais toutes les nuits. je voulais mes mille vies. je voulais tout connaître. j'apprenais des pays, des corps et des poèmes, par coeur, bien profond sous la peau. j'étais là dans l'urgence et c'était ça encore que j'appelais : être au monde, en souffrance, hystérique, rouge sanguine, immédiate. le monde entier m'est une sorte de tunique de Déjanire que j'aime à la folie et qui me brûle les os. que je le veuille ou non - je le porte dans la peau. ça me perdra peut être - la violence, la jouissance, la vitesse - ça ne me fait pas peur, rien vraiment ne me fait peur, et que m'importe la chute, pourvu qu'il y ait l'ivresse.

 

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