je marche dans la
ville, je porte mon masque froid, cette fausse assurance nourrie à la
fois de l'angoisse terrible et puis, revenant toujours par vagues,
du très prégnant plaisir physique d'être un
corps vivant - (rue de rennes, un type me demande si
je suis danseuse)
- alors : la ville, le vent, les yeux blessés par l'éclat
de la lumière,
l'agacement de la jupe qui remonte sur les jambes, l'ivresse de
la pente de la rue saint-jacques qui ouvre
la ville en tranchée vive jusqu'à la seine, et puis
l'eau, le tremblement de la lumière, la classification rapide
et ordonnée qu'imposent
les regards, une sorte de cadenas sur la poitrine, une sorte de
brûlure, j'entre
dans
une
librairie pour lire dix lignes de l'Ombilic des Limbes,
le jour qui baisse
m'apaise, dans un café rouge et noir où j'avais
connu l'amitié
nocturne d'Eric (où êtes vous ? allez vous bien ?),
un type me regarde avec effarement, il me parle en anglais,
je le
suis, je ressors de l'empire moderne d'un grand immeuble haussmannien
les cheveux coupés d'un grand trait net et avec la folle
idée qu'au
milieu de ces filles officielles qui le valent bien, si
j'avais autorisé quelques
centimètres
de plus j'aurais pu célébrer au sake le fait que,
dans cet univers caché
de
strass et de supposés tours de magie, aux yeux d'un
charmant cinglé de
passage et aux frais de la princesse discrétionnelle,
ma nuque apparue vaille à peu
près
un aller-retour business
class pour Tokyo.