je
la sentais venir, la grande montagne profonde, je la sentais monter
en moi
je la sentais surgir, c'était comme dans le bleu du soir
cette rivière de fortune filant entre les arbres, un moulin
battant les remous, cheveux de l'eau vivante, un ou deux étalons
dans un pré qui galopent, c'était comme la musique,
les petits yeux sensibles d'une enfant dans le train collant comme
moi son front à la fenêtre et me souriant de connivence,
montant, montant, montant toujours depuis le sang, les doigts de
dernière lumière crevant la peau des grands nuages,
une tour ou les restes d'un château faisant signe tranquillement,
le versant dans mon coeur le versant qui me ramène au territoire
secret de la nuit froide et de l'enfance, je suis là dans
ces magmas statufiés de lave folle, je suis là dans
l'écorce, la terre râpée aux causses cette
roche dangereuse et toute la chair vibrante de la prairie blanchie,
je suis là aux épines, aux torrents, à la
meute, les lacs glacés de rêve le murmure inquiétant
des sous-bois et l'étonnante couleur et l'enivrante beauté,
avec la montagne vient la neige et avec elle encore le silence
- la route maintenant serpente et elle parle mon langage, hiératique
et sublime, le marécage noir de l'oubli et les joncs, les
oiseaux, la nuit folle, lauze miroir, comme ici tout m'absorbe,
comme ici tout me prend, le froid qui crevasse mes mains, le froid
qui
travaille mon souffle et s'en va comme la rivière dans le
gouffre de mon ventre.