André Masson, Les Chants de Maldoror, 1937

l'immédiate
journal d'O.

 

 

les filles à lunettes devant la librairie Corti - tu l'as celui-là ? et celui-ci, tu l'as aussi ? - me monte une envie de meurtre comme une montagne dure dans le ventre - à moi Maldoror aux mille bouches délicieuses de cafard et d'araignée ! à moi les pieuvres obscènes du vieux Victor ! à moi la fidélité absolue de deux ou trois statues du jardin du Luxembourg qui font mine de rien sous la pluie et les regards, venez maintenant mes tendres plonger vos mains nues acérées dans leurs petites poitrines d'oiseaux bêtes ! - (non mais, sans blague) - de chair vivante je creuse ma tranchée face à leur ébaubissements de belles idiotes ; le tendre Comte et le divin Marquis nommés colonels de cavalerie, mon beau chéri Byron avec sa moue dédaigneuse, il s'y connait en nobles causes, Gracq dans sa vitrine de relique fera la cantinière, et puis en projectile de dernière mesure il y a sur la table un livre de Marc Blanchet qui s'appelle Les amis secrets et qui semble tout indiqué - enfin comme tombé d'un rêve un très vieil homme, très abîmé, rentre au son de la clochette et semble les chasser de ses yeux absents - je pense à la vieille Betty, ma Nadja de hasard, un temps jouant les modèles pour Picasso, un temps mendiant dans les jardins de Paris ; quand j'allais m'asseoir sous les arbres pour lire ou pour l'attendre, si quelqu'un m'approchait de trop près ou avec trop d'insistance elle surgissait monstrueuse - sublime - de ce monde et d'ailleurs, attachée toute puissante à ma très grande fragilité - Harpie jetant la malédiction entre ses dents terribles.

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lundi 9 janvier 2006