l'immédiate
journal d'O.

 

Pluie d'été à Hiroshima : un acteur en costume de laine polaire peluchée saute comme un lapin dans un trou de la scène, un autre se met à chanter Alain Souchon, la fille a ce phrasé dramatique-suspendu (oui) qui n'en finit pas de me fâcher avec le théâtre, ça monte ça monte ça monte ça reste en l'air bêtement et nous voilà bien avancés, sur ce des techniciens rentrent carrément sur scène pour ranger un par un, dans des boîtes en plastique noir, les monticules de cailloux qui jonchent l'espace et qui n'ont servi absolument à rien (à moins que j'aie raté quelque chose, à 1h30 de lapin en peluche qui déclame j'ai sorti les Passeggiate romane de Pasolini de mon sac à main), et puis je manque mourir de rire alors que du bord de la scène centrale surgissent des sortes d'hommes habillés de grandes plumes noires et dont les ailes tiennent en leur bout des photophores qui se balançent bêtement : ils déplacent, dans un sens et dans l'autre, les panneaux de plexiglas criblés de trous ou de flaques qui traînaient dans les coins depuis deux heures. bon. une fille a allumé un feu en se baissant avec tant d'application qu'on se demandait si du feu ou de ses fesses il valait mieux prendre l'éclat : des types l'éteignent aussitôt (j'aurais voulu écrire l'étreignent), une brindille blonde débarque et se met à surjouer Hiroshima mon amour : de son accent allemand à peine dissimulé, de son visage inexpressif, de son manque absolu de sensualité, je me demande s'il faut s'offusquer ou accepter, comme me le chuchote ma soeur en grande magnanime, un certain parti-pris théâtral - une bande-son est jouée sur le couple qui tente de suivre le rythme avec tout le ridicule d'un mauvais doublage de série B, je m'investis dans la délicatesse de jeune animal polymorphe de l'acteur japonais mais l'autre idiote beuglant du fond de son trou sans jamais y exister dans son corps commence à me taper très sérieusement sur le système : aucun parti-pris scénographique ne tient l'épreuve d'un corps qui n'est pas dans le texte, et cette pauvre Marguerite aurait peut être dû rester un peu plus longtemps en cure avant de céder ses droits d'adaptation théâtrale à Vigner - je mesure ici à quel point la fulgurance d'un texte ne peut pas tout tenir debout dans sa beauté, je mesure aussi à quel point les délires religieux ou monomaniaques de la douleur de Duras me sont devenus étrangers, sinon insupportables -

sous les arcades sublimes de cette même cour des Carmes j'ai vu il y a deux ans et pour toujours le grand corps de Sidi Larbi Cherkaoui se donner à l'amble imaginaire d'un cheval et d'un chanteur soufi, j'ai vu une femme et un homme danser, bouches liées, un tango long et puissant, j'ai vu une femme voilée casser ses chevilles aux regards je l'ai vu se traîner à la puissance autoritaire des hommes en bras de chemise et puis qui ont servi le thé, lentement, très lentement, entre ses omoplates nues -

(re)connaître ses attaches, aiguiser son exigence.

 

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samedi 22 juillet 2006

Avignon