l'immédiate
journal d'O.

 

se nourrir d'images, nourrir ses yeux et sa peau pour la nuit. dans les marais salants de Guérande une profusion de termes techniques me tombe des livres : les étiers, les vasières, les oeillets, l'algie, l'aldure, ça y est je commence déjà à les réinventer - une langue étrangère traîne dans ces terrains arides déchirés par le sel - j'avance tranquille le long des buttes de terre molle, le miroir plat des étangs fades, et l'eau poisseuse, stagnante, rougie d'oxyde de fer se tient magique et animale dans le cadre d'argile des marais, je goûte l'air gris, la bruine tiède, l'odeur de saumure épaisse dans la peau, prégnante comme un rêve. sans doute les hommes et les femmes de ces terres sentent-ils leur peau craquer doucement au sel et au travail. sans doute le vent furieux qui file sans fatigue dans les joncs leur donne-t-il le tournis, la fatigue, le goût du fer ou bien de l'effacement. l'appel se fait de ces grands parcs d'eau verte et d'oiseaux mélangés, une lumière sans pareille qui arrache les sens. là-bas, plus loin, à la limite de l'oeil et du rêve, je les vois comme ils m'attendent, les bateaux immobiles aux voiles dures comme des marbres, les terribles lions de pierre dressés dans l'anse des ports, les grandes sirènes débiles aux yeux miroirs concaves, et rognant leur désir aux feux vifs sans chaleur des phares et des repères, au loin toujours plus loin séparée de la côte par un long bras de mer tout colleté d'écume une grande bâtisse de pierre grise lève son terrible clocher sur une île qui lui est consacrée : je pense aux chemins de contrebande qui marquent la côte sauvage, je pense aux embruns sales, je pense au Corsaire Sanglot quand il paraît, somptueux, au pensionnat des (très) jeunes filles de Humming-Bird Garden... et je l'aime, le Corsaire Sanglot, je l'aime toujours sans issue et sans heurt.

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31 juillet 2006