l'immédiate
journal d'O.

 

dans les cafés avec H, les dernières heures parisiennes et l'impossibilité de se quitter

je regarde les américaines très fières dans leur mauvais français

les types accoudés au comptoir qui s'engueulent avec joie
sur le nom oublié d'une rue à Mende ou à Rodez

le garçon aux yeux très noirs qui tous les soirs de l'année est venu lire cet éternel manuel d'astronomie, ses lèvres absorbant les étoiles en silence, nous ne nous sommes jamais parlé, nous nous connaissons de l'intimité chaude des banquettes de cuir brun et des sachets de thé, éventrés dans les coupes
- il me fait signe quand il entre

un jour d'hiver j'ai bu un truc ici avec JB qui me racontait qu'il avait été à l'école maternelle dans une école shintoïste de Tokyo, on l'avait cherchée sur un plan que j'avais dans ma poche

un autre jour encore en terrasse avec L un crétin local nous avait abordées en s'exclamant : l'amour surréaliste a encore frappé ! il distribuait des cartes de visite manufacturées qui promettaient tout Proust et tout Breton sous le couvert d'un pseudonyme faussement libertin et radicalement ridicule, je me souvenais l'avoir vu faire sa réclame grotesque à la sortie des hypokhâgnes, le moins qu'on puisse dire c'est que ce jour-là, dans le soleil limpide, je lui avais comme qui dirait taillé un short

une autre fois encore j'avais trouvé sur la table,
coincée sous le cendrier bourré à ras bord de mégots de Pall Mall,
une feuille de papier A4 blanche,
et il y avait une ligne du texte qui m'était restée très longtemps dans la peau :
" ils aiment un corps long et fin dans une salle de bain le matin..."

c'était un jour à parler japonais et j'aimais bien quand Jerome m'emmenait manger des omelettes géantes ou des amaryllis dans la tristesse de l'hiver, deux ans plus tard Sanae-san m'avait rejoint à cette même table ouverte contre la vitre où un type hurle maintenant au téléphone avec cet air follement amusant qu'adoptent les gens lorsqu'ils s'emportent pour le plaisir premier d'être entendus du plus grand nombre : "oui tu comprends dit-il elle était toujours très sexy, elle ne mettait jamais de culotte, juste comme j'aime, et puis elle aimait se faire caresser, elle aimait ça !"

puisque le zouave parle pour être écouté je note chacun des mots qu'il profère, édifiant tellement je mords le bout de mon stylo pour ne pas rire quand il s'exclame :"pourtant tu vois c'est la seule de toutes les filles que j'ai connues qui n'a pas voulu aller aux Chandelles... c'est fou cette nouvelle génération à qui il faut toujours tout apprendre !" la cinquantaine hideuse, comme il regarde H et comme il me regarde, sublime specimen du mâle dominateur à la con, réac autoritaire et qui se croit licencieux, aveugle à tout ce qui ne sert pas sa jouissance immédiate et ses fantasmes psychorigides, tout un poème donc et j'en ferais volontiers des confetti

H me dit : tu sais ce qui serait drôle, ce serait qu'à la fin de la conversation, après avoir glosé une heure sur les filles asservies, les putains à promener en laisse en public et l'inadmissible frilosité des gamines pré-pubères on l'entende dire : "allez, au revoir Maman ! ".

 

avant - après
index - journal
ego - archives -

© 1999-2006

dimanche 25 juin 2006