l'immédiate
journal d'O.

 

La nuit de l'iguane. incroyable Richard Burton, titubant dans la chaleur poisseuse de son désir et du sud mexicain - il aurait fait un Consul mémorable dans une adaptation de Under the volcano (plus tard, John Huston choisira Albert Finney), un type désabusé de tout et grignotant encore sa fraction de vie brève dans l'éclat majestueux d'une bouteille de mescal... chez Tennessee Williams autant que chez Lowry il y a bien cette clairvoyance infinie des deux niveaux : " the fantastic level and the realistic level are the two levels upon which we live "... et puis Ava Gardner très belle évidemment - ce même ton de voix rauque et d'embardée des épaules qu'Anita Ekberg - il n'empêche que je lui en veux (car oui, on peut en vouloir à des personnages de pellicule ou de papier, si cruellement) de choisir pour seule échappée finale les bras de l'homme plutôt que le départ (H me dit : mais toi tu es une furieuse, et c'est sans commentaire) ; de fait, la belle plante malade d'amour n'a pas la sève puissante de la voyageuse solitaire jouée par Deborah Kerr - sublime, Deborah Kerr, les pommettes hautes et solides, c'est elle qui tient le cap, c'est en elle aussi que je retrouve la tonalité de mes premières heures "williamsiennes", quand je lisais The glass menagerie en apnée dans l'été indien des plaines nébuleuses du Kansas - c'est en elle surtout qu'explose la limite de l'amour physique, car elle vit sans ciller : " but why do you call it dirty ? " - et puis tout de même, dans la panoplie d'héroïnes hollywoodiennes formatées au happy ending, il est rafraîchissant de la voir surgir si forte, si intègre et si peu orgueilleuse, ajustant tranquillement son chapeau pour partir seule et sans concession à la difficulté du monde. il y a quelques années encore j'aurais balancé Deborah Kerr aux orties, les yeux mangés par Ava Gardner exclusivement ; il aurait été excessivement facile alors de jeter une belle petite diatribe contre son allure composée de femme simple, excessivement facile et plaisant d'y ajouter un morceau de cette imperturbable glorification du corps exultant dont je suis parfois un peu la championne... les perspectives changent. ce qui est important, ce qu'il faudra véritablement écrire - je ne suis pas désolée de le dire - c'est la pression sociale et esthétique qui enclôt et qui cloue la construction de la représentation du corps des jeunes femmes - cette main violente qui explose leur poitrine, cette main puissante à laquelle elles s'imaginent échapper en serrant plus fort ou en filant plus loin. souvent nous avons eu peur, souvent nous avons choisi le mythe. Circé ou bien Médée, Garbo ou Gardner c'est pareil. dans la rue le regard nous transperce, un instant nous sommes belles et l'autre monstrueuses, ce que nous avons occulté c'est que le regard n'est pas qu'une caméra et que des vagues entières, immenses, des vagues de magma chaud et d'insolence nous courent sous la peau secrètement, que ce sont ces vagues-là qui font nos choix, nos goûts, l'éclat brûlant de nos yeux, ces vagues d'abord que le garçon ou la fille de nos nuits touche encore, et encore, dans notre peau d'accueil et de langueur toujours émerveillée.

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mercredi 20 septembre 2006