paris

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l'immédiate
journal d'O.


ma peau m'échappe quand elle n'est là que pour moi. la nuit tombe. je ne peux pas même déranger ou remettre l'ordre suspect des rideaux, je ne peux rien faire, rien décider, je sens ma chair figée comme la cire d'une bougie, fondue en flaque et sans splendeur, inutile. peut être un peu d'air ? je retrouve dans les livres de Silvia Baron-Supervielle l'esquisse d'un refuge : "En me réveillant de ce périple intérieur, je compris qu'il me fallait le garder secret. Il était aussi inexprimable que l'énigme qui battait dans mon ventre. On pouvait le comparer au fantôme d'un animal fabuleux remuant dans un espace sous-marin." je suis folle. mes rêves m'inondent, des rêves de fjords étroits et blancs où s'éreintent les baleines, des rêves de pampa grise, sous la lune, avec les feuilles des arbres entaillées dans la peau. R dit : X a décidé de prendre des gouttes homéopathiques de poil de chien trois fois par jour pour combattre son allergie, tu comprends, nous voulons terriblement un fox-terrier. R est adossée à la baie vitrée, je regarde par dessus son épaule les toits gris de Paris et l'horloge merveilleuse de la gare de Lyon. un fox-terrier comme dans Tintin ! me dit-elle avec ardeur, et je remarque qu'elle bouchonne de la main le velours mat des rideaux, inconsciemment. X nous rejoint, j'hésite à l'interroger sur le potentiel romantique de son traitement mais il m'en parle de lui-même : une marque d'amour, confie-t-il sur le souffle. et inévitablement : nous voulons construire notre vie commune maintenant. je m'étouffe ; beaucoup trop de mots auxquels je suis allergique dans la même phrase, et pas de traitement connu pour ma pathologie, j'en ai peur. je bavarde, je leur fais raconter les choses qui les repèrent, les choses qui les rassurent : la maison, le chien, les vacances, le travail aliénant et mesquin qui les effondre du dedans mais ils ne l'admettront jamais. ils sont touchants quand ils s'en vont, bien avant minuit, et qu'ils embrassent avec effusion chacun des invités dont ils ne connaissent rien et ne souhaitent rien connaître au-delà de leurs rassurantes ressemblances de surface. je note : R et X, le nous égoïste et sordide des couples a encore frappé.

je note aussi : qu'est-ce qu'une marque d'amour...? j'ai voulu vous appeler pour votre anniversaire et je n'ai pas osé, prendre le pouls de votre vie, vous confier comme à toujours mes fragments, et vous dire aussi : je garde dans le bas du dos une cicatrice longue et montueuse comme une lèvre, le signe de votre amour qui fut vrai et terrible, il y a longtemps, il y a merveilleusement, le souvenir d'une première nuit d'amour dans l'après-midi bleu roi de l'interdit.

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samedi 7 juillet 2007