l'immédiate
journal d'O.

 

Antoine, nous serons donc les derniers à l’admettre. je le sens dans la peau quand tu traverses, doucement, le cadre ouvert d’une baie vitrée, ça me déchire sans mal, sans question, sans attente, c’est comme cet air humide, plein de pluie et de fleurs, qui descend dans ma gorge sans que je puisse rien y faire, et qui me met en joie. tu me demandes : Madrid ? et je donne des détails, précis, erratiques, formidables, je veux garder pour moi les mots à ton sujet et le rêve adéquat, tes yeux qui me font mal même quand tu n’es pas là. c’est la nuit et la nuit est immense comme cette nuit enivrante où je ne t’ai pas embrassé (nous avions parlé de la lecture mythologique et sexiste des constellations et de la perpétuelle mise à l’écart des héroïnes grecques et du manque de modèles féminins et j’en ris encore, nous étions ridicules tellement, posant en contrepoint de tout l’éternelle et inquiétante question du genre, oui nous sommes faits de la même matière sensible). voilà, la nuit coule maintenant, j’étais sans images à l’idée de te revoir et tu es l’image même, souple, sensuel, splendide et noué d’une dureté folle, un désenchantement au monde que tu rapièces de ci, de là, de tes choix, de tes luttes, oui tu passes dans mon oeil comme un film sans raccord, quelquefois je voudrais t’abîmer juste un peu, te défaire, te refaire, t'emporter. je suis pleine d’un mouvement vers toi qui ne s’articule pas, de fait nous nous heurtons toujours aussi bien, pour un rien, un motif anodin, et c’est aussi notre façon à nous de nous toucher au corps sans miser notre fierté, de l’ombre du jardin au saisissement des bars, entiers, heureux, abîmés du réel et brûlants dans notre peau, nous nous retrouvons du dedans, oh le silence sous la nuit sombre, j’étais violente et tu as tenu mon poignet, longtemps, trop longtemps, j’ai donné toute ma bouche.


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jeudi 3 mai 2007