l'immédiate
journal d'O.

 

lettre à M. A.

il pleut, je reprends ces fragments de lettres avec un thé sencha et la voix de João Gilberto. hier, Laurent m’a offert Le monde du bout du monde, j’ai lu Le Gaucho insupportable de Roberto Bolaño, puis j’ai couru chercher le bouquin de Chatwin sur la Patagonie, et un jour ce sera oui les rues noires et blanches de Buenos Aires pour prendre des trains, des bus, des voitures aux amortisseurs défoncés loin vers le sud sec et rêveur qui est, je l’imagine, le pays de la plus belle lumière. P la première fois que je l’ai rencontré c’était en haut d’un escalier du onzième arrondissement, et nous avions parlé anglais, et français, et italien, mais l’espagnol mâtin et chuintant de son enfance sur le Rio de la Plata lui était une violence : il gardait cette violence pour lire et pour aimer Borges. j’avais vingt-trois ou vingt-quatre ans, ça me faisait pas mal rire, et dans les pots d’origan qu’il cachait sous l’étagère de sa cuisine j’ai rêvé la pampa, merveilleuse, dramatique, brassée par des vents de naufrage et des romans d’amour.

 

 

 

 

 

 

j’aime bien dire que je n’aime pas Borges, Borges m’est un passage, une ruelle secrète, une case dans la marelle que dessine Cortazar et vers les îles encore, plus haut, les haciendas de rêve des gamins d’Alejo Carpentier, la lumière holographique des îles de Bioy Casares, et Bolaño maintenant, découvert dans la nuit et qui ramène d’un coup une lampée d’eau de vie sur le bord d’une piste froide, avec les gauchos hiératiques, ridicules, fous de tristesse et d’air pâle, l’odeur de cuir de leur peau et leurs bottes, couteaux tirés comme aux yeux, la finesse des pupilles, contre la lumière crue, ils dorment sous l’étoile et l’arbre de secours, ils jouent leurs rêves aux cartes, leur voyage immobile sur le ventre d’une femme aux jupons plats et blancs, remontés comme la mer qu’ils ne connaissent pas, frangés d’écume, de pluie grise, et chaude, et chantante, car « la pluie leur est douce » comme le veut le dicton.

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Ophélia © 1999-2007

11 mai 2007

carte postale de 1958 du pont transbordeur de Nantes
crédit : www.timbresponts.fr