l'immédiate
journal d'O.

 

lettre à M. A.

cette lettre décidément est une histoire de pluie. l’orage m’a réveillée au matin, et j’ai bu mon café dans la cuisine, à demi éberluée, debout dans mon t-shirt marqué du visage de Rimbaud (cadeau très kitsch de H, qui est aussi née à Charleville-Mézières) et mes chaussons d’intellectuel chinois, à regarder valser les réverbères. ça me plaisait beaucoup cet orage, j’ai pris mon bain avec la fenêtre entr'ouverte et quelques pages de L’invention de Morel : son, et lumière, pour l’apparition sans fatigue de Faustine et pour les marées merveilleuses. c’était très beau, et très beau encore sur le quai de la Fosse, les échafaudages du chantier de l’île de Nantes, les docks, les entrepôts dans la distance, la très grande grue jaune que j’aime et qui s’appelle Titan. le Lieu Unique était plein d’enfants et de personnes âgées et de jeunes qui trinquaient le long des vitres dépolies, rien à voir avec cet après-midi d’automne où nous avions bu l’un et l’autre un café de joie simple jusqu’à ce que le jour tombe comme une pierre. au bar, les yeux verts et les bras en moulinet il y avait le camarade florentin Duccio, lancé en m’attendant dans une conversation effrénée avec un autre type : Ma, O, dis-lui toi que Monica Vitti vaut trente-quatre Catherine Deneuve ! j’ai parlé de la scène finale de L’avventura, et du frôlement violent d’Alain Delon et Monica Vitti dans l’appartement de L’eclisse, et puis j’ai dit : c’est la solitude. c’était assez ridicule, mais je ne pouvais rien admettre d’autre (dans mon carnet toujours une image d’Anita Ekberg avec Mastroianni dans la fontaine de Trevi, une photo découpée d’Ava Gardner en robe fourreau et la silhouette tendue de Monica Vitti sur la mer).

 

on a erré assez longuement dans les allées de l’espèce de salon du livre et de l’art qu’accueillait le Lieu Unique, il y avait beaucoup de livres, mais je ne voyais que des objets, et j’avais mal au coeur. vraiment, l’art préparé me fatigue. il y avait une projection dans le coeur de la salle, un truc bleu avec des rayons vifs et des craquements de fer, j’avais envie de dire : l’orage du matin me suffit. j’ai noté les titres de plusieurs trucs, un petit essai de Geneviève Vincent qui s’appelle Trop de corps, un ouvrage sur Lygia Clark et son exposition Nous sommes le moule. A nous de donner le souffle, et la revue Du nerf (éditée à Rennes) dans laquelle j’ai trouvé des textes de cet artiste-plasticien qui sème dans les recoins de Nantes son appel aux secrets – mais je n’ai rien acheté, je ne voulais rien posséder de cet étalage trop voyant, tape-à-l’oeil, un bel « évènement culturel français ». dehors c’était le ciel chargé de tempête encore, comme un ami qui attendait. on riait sous des parapluies retournés comme la peau des oranges, en remontant la rue le long du château des ducs de Bretagne, et les bourrasques amenaient dans nos pieds des feuilles très vertes, fluorescentes. soudainement encore j’étais folle de joie.

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Ophélia © 1999-2007

13 mai 2007

carte postale ancienne du pont transbordeur de Nantes
crédit : www.timbresponts.fr