l'immédiate
journal d'O.

 

lettre à M. A.

finalement j’ai pris le train pour Paris cet après-midi. c’est un chauffeur de taxi strauss-kahnien de Casablanca qui m’a trimballée avec toutes mes valises, et nous nous sommes copieusement et joyeusement confrontés au sujet du PS pendant tout le trajet ; il m’a tout de même avoué qu’il prenait un malin plaisir à promener les jeunes loups sarkozystes à travers tout Paris pour rallonger la course ou leur faire des frayeurs... le soir, j’ai mangé un couscous arrosé de vin rouge très râpeux avec L : partie il y a trois mois pour l’Inde, elle me revient comme d’une escapade en forêt de Fontainebleau, fraîche avec les cheveux longs épars sur ses épaules. derrière nous, des Japonais dégustaient des merguez avec de petits yeux heureux. des filles parlaient d’une ville où les jardins dominent. le mi-cuit au chocolat était bon, et souverain pour cette angoisse en lame de fond qui nous ramenaient sans cesse, L et moi, au sentiment d’inutilité splendide qui toujours nous habite. nous sommes pleines d’images, et ces images ne vivent qu’en nous. nous sommes pleines de départs, d’enthousiasmes, de désirs éreintés à la carte du monde et le coin de la rue pourtant parfois me terrorise. il me faut toujours faire les choses sans y penser, ou bien je ne fais rien. les alliances manquent, les appuis, les espaces libres dans la tête et la peau des gens qui nous entourent et qui ne suffisent pas, que la ville et la misère environnante épuisent comme nous de jour en jour. j’ai peur encore de la dilapidation de la légèreté. il y a des joies immenses, pour danser dans des bras inconnus ou pour courir très loin, toujours plus loin, sur le versant de rêve d’une montagne aux bruyères violettes d’où les oiseaux s’envolent. il y a les livres qui tiennent, et il y a les livres qui dégoûtent, les étalages d’insatisfaction et de béance humaine qui caracolent en tête de gondole. je voudrais écrire des choses qui touchent, je ne m’en sens pas capable, j’ai peur de n’être jamais assez brillante, jamais assez belle et jamais assez légitime, je ne sais pas comment être une femme et échapper à ces carcans impossibles, cette maladive nécessité – greffée en nous – d’absolument plaire. je ne veux pas écrire pour plaire. dans l’absolu, je ne veux pas même écrire du tout : les mots viennent parfois, je les suis tant bien que mal, c’est tout. les images m'asservissent. il y a des filles aux yeux souples qui naviguent dessous ma langue, des filles qui prennent la vague et les bateaux dans des îles byzantines, d’autres dans les néons de la ville, dans les courants sous-marins. je ne sais pas quelle forme leur offrir, quelle forme elles peuvent prendre, comment elles peuvent paraître : tout est usé et surfait et fragile.

 

 

 

j’ai raccompagné L sous son grand parapluie mauve, et j’ai ri tout le long du retour parce que, du bijou indien qu’elle m’a attaché à la cheville, je me faisais l'effet d'une chèvre sautillante au bord du canal Saint Martin. j’ai repensé à l’une de vos lettres précédentes, très douce, très rassurante, fidèle à ce que j’imagine être une alliance véritable et je m’en suis voulue de n’avoir jamais répondu à cet appel pourtant tant désiré (mais dans quelle mesure, à chaque instant encore je me saborde ?), j’ai pensé aussi à Lisbonne que je ne connais pas et dont la langue pourtant me parle depuis toujours dessous la peau.
merci, vraiment, et bien à vous,

O.

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14 mai 2007

carte postale ancienne du pont transbordeur de Nantes
crédit : www.timbresponts.fr