l'immédiate
journal d'O.

 

être aimée. le corps ne suffira pas, il ne suffira pas à mon désir du monde ou ma nécessité d'entrer, entière, dans l'ondoiement étrange, léger, l'ondoiement d'une histoire qui tiendrait au-delà de ce que j'en attends ou de ce que je contrôle. M me jette dans les bras de grands animaux bruns et physiques comme j'adore, M ne descendra plus jamais plus bas que le bord de mes lèvres, en souffle, au creux d'une nuit froide où nous parlons de notre goût du vide l'un et l'autre bien trop fort pour le revivre encore. je parle de M par facilité ; je n'ai pas le courage de parler de toi. la fièvre m'accable, brutale : je me rêve dans la junte birmane, dans le corps d'un cargo ou criant, déchirée, un silence de misère qui me craquèle le coeur. la nuit passe par blocs noirs. je pleure du manque d'amour, je lis d'obscurs romans américains où les Loups Navajos sillonnent la nuit crayeuse de la mesa, et sur leurs têtes les chouettes aveugles, et dans leurs mains la turquoise et le sang. sans doute je m'y repose à l'aventure, comme au comptoir d'échange d'une réserve, debout entre les sacs de farine de maïs et les boîtes de pêches au sirop qu'ils servent, sur des plateaux en plastique, sur la route d'Albuquerque ou Santa Fe. je n'ai pas oublié les arbres de fer qui frissonnaient au vent dans les plaines nébuleuses. April aux yeux brillants, la poussière rouge qui recouvrait sa voiture comme d'un mystère ancien, aux confins du Mexique. le papier doré acheté à des Indiens sur le bord d'une route : et griffonnant nos secrets, l'attente de la vie, un poème impossible de désir à couper en morceaux minuscules que nous avions collés, sensiblement, sur une bougie de verre violet. il y a dix ans exactement. et les souhaits crayonnés se sont fondus dans la colle et le temps. et, ce qu'il ne faut pas oublier quand brusquement tout en moi s'effondre : ce soir, demain, plus tard, le désir reste à venir.

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mercredi 31 octobre 2007