l'immédiate
journal d'O.

 

 

il y a un funiculaire bleu vif qui monte et qui descend dans une ville que je ne connais pas, il y a la mer, immense, tenue au collet de la montagne, il y a le spectre d'un mensonge national et puis, dans la vitrine d'un musée, posée sur un carré de velours anonyme, une demi-branche de lunettes aux verres fracturés - écailles et noir, mordues de mort - les lunettes d'Allende. j'ai revu le film de Patricio Guzmán, je ne sais pas si il est possible de ne pas pleurer, peut être pour un Chilien ou une Chilienne engagée l'ignominie sera toujours trop fraîche, une entaille dans le flanc, trop lançantes la douleur et la désillusion. ici, le silence. je pense à Neruda, le 14 septembre 73 : "Mi pueblo ha sido el más traicionado de este tiempo", et il tombera aussi bientôt dans les décombres. je pense au poème La Ciudad de Gonzalo Millán : "El río invierte el curso de su corriente...". il n'est même pas nécessaire de chercher beaucoup pour comprendre que Millán, poète reconnu, célébré, considéré comme héritier littéraire du très respecté Nicanor Parra dans un Chili qu'il avait pourtant dû abandonner pendant toute la dictature de Pinochet, a laissé une oeuvre aiguisée, exigeante, amoureuse, qui n'a jamais été traduite en français, jamais été publiée en France. voyez comme nous sommes fiers et ignorants du monde, comme la mer et la langue nous séparent facilement de ceux qui vivent et qui écrivent ailleurs, sous-produits, sous-lettrés, exotiques. c'est une beauté fragile, ce passage de La Ciudad que Millán lit, tremblant, sur l'image de Guzmán : "les balles sortent des chairs / les balles rentrent dans les canons / les officiers rengainent leurs pistolets / ... / les torturés arrêtent de s'agiter / les torturés ferment leurs bouches / les camps de concentration se vident / et apparaissent les disparus..." - touche "retour" du grand magnétoscope de l'horreur, et toujours, contre tout, la poésie en invocation magique pour défaire lentement l'histoire et remonter ensemble le cours de la rivière. une sorte d'anti-Héraclite, Millán, celui qui ne cédera pas au flot continu qui force son désir. de très loin je pense au Chili que je pressens et que je ne connais pas : il y a un funiculaire, il y a des cargos, des bateaux-usines baleiniers lourds de la masse de mes rêves et il y a la corde serrée de la montagne, les chants de lutte du MIR, la pointe de la botte américaine (étatsunienne), une poésie de sang et de désenchantement - oh, partir comme on aime, aveuglément, passionnément, être entière dans l'appel.

avant - après
index - journal
ego - archives -
email
Ophélia © 1999-2008

mardi 11 septembre 2007

El río invierte el curso de su corriente.
El agua de las cascadas sube.
La gente empieza a caminar retrocediendo.
Los caballos caminan hacia atrás.
Los militares deshacen lo desfilado.
Las balas salen de las carnes.
Las balas entran en los cañones.
Los oficiales enfundan sus pistolas.
La corriente se devuelve por los cables.
La corriente penetra por los enchufes.
Los torturados dejan de agitarse.
Los torturados cierran sus bocas.
Los campos de concentración se vacían.
Aparecen los desaparecidos.
Los muertos salen de sus tumbas.
Los aviones vuelan hacia atrás.
Los “rockets” suben hacia los aviones.
Allende dispara.
Las llamas se apagan.
Se saca el casco.
La Moneda se reconstituye íntegra.
Su cráneo se recompone.
Sale a un balcón.
Allende retrocede hasta Tomás Moro.
Los detenidos salen de espalda de los estadios.
11 de Septiembre.
Regresan aviones con refugiados.
Chile es un país democrático.
Argentina es un país democrático.
Las fuerzas armadas respetan la constitución.
Uruguay es un país democrático.
Los militares vuelven a sus cuarteles.
Renace Neruda.
Vuelve en una ambulancia a Isla Negra.
Le duele la próstata. Escribe.
Víctor Jara toca la guitarra. Canta.
Los discursos entran en las bocas.
El tirano abraza a Prat.
Desaparece. Prat revive.
Los cesantes son recontratados.
Los obreros desfilan cantando.
¡Venceremos!

Gonzalo Millán, La Ciudad, 1979 (extrait).