l'immédiate
il paraît que le poète tchèque Vladimir Holan avait, vers la fin de sa vie, jeté toutes ses chaussures pour ne plus avoir ni la tentation ni la possibilité de sortir de chez lui. à une époque où je ne respirais plus je me souviens que P me disait, dans des nuits sombres et froides sur le bord d'une fenêtre : c'est dehors qu'est la vie, dehors l'autre morceau de ton coeur sans limites. mes mains tremblaient quand j'allais vers la porte, ma bouche, le creux de ma nuque, il fallait attendre le soir toujours pour descendre dans la ville monstrueuse, ou que l'on vienne me chercher : toutes mes chaussures aussi, toutes mes protections avaient été jetées - les épaisseurs de chair qui séparent du réel. comment va-t-on si vite tout au bord de la blessure ? je vivais alors dans des mouvements nocturnes avec un animal familier et très tendre qui s'appelle l'angoisse. je sais comme il revient, je le sens qui s'étire d'un coup dans ma poitrine. il n'y a rien à choisir contre la peur. s'avancer dans la vie au-delà de son envie même, tenir sur des détails d'hommes inconnus et confiants. j'ai lu Holan cet été, dans un morceau de soleil avec la désillusion splendide des images : Sans que tu puisses espérer : Vladimir Holan, Derechef, in Pénultième, maintenant la nuit s'interrompt et Patricio m'a envoyé son exemplaire du journal intime d'Alejandra Pizarnik : Alejandra écrivait à la craie, la nuit, des poèmes qu'elle corrigeait sans une trace, elle tenait un journal d'une clairvoyance terrible et qui la perdra, toute seule et entourée de livres à la fois elle vivait dans un infime appartement de Buenos Aires dont elle ne sortait pas ; et de son corps non plus Alejandra ne se sortait pas : " ¿ De dónde viene este miedo ? Reconocer que el corazón late excesivamente. Ningún abandono puede provocar estos síntomas. Deseos de pasarme la vida averiguando por qué mi corazón se precipita a la garganta y por qué mi garganta es la capital de mi cuerpo." Alejandra Pizarnik, Diarios (juin 1962), éditions Lumen.
"Il fallait d’abord avoir envie de vivre". bien sûr : Emily Dickinson. bien sûr : Sylvia Plath. bien sûr : Alix-Cléo Roubaud. la limite de la chambre, le monde inabordable. se jeter au dehors comme aux lions, incessamment. le confinement du corps, confinement à la maison, l'épanchement en journaux et puis en poésie. bien sûr encore : le heurt à sa propre langue, l'expérience insoutenable et répétée de la limite, ce que l'on imagine être l'impossibilité de s'affirmer au-delà d'une image, d'un agencement de mots et de postures qui sont - incessamment - perçus comme impostures. en un mot : l'aliénation. Pizarnik/Plath : les médicaments/le gaz, et inversement. Alix-Cléo Roubaud idem. et toutes sont des exilées. Alix-Cléo canadienne à Paris, Alejandra argentine à Paris, Sylvia américaine à Londres. Emily Dickinson : exilée dans le repli de sa chambre même, l'héritage anglais en Nouvelle-Angleterre. tout s'entremêle. elles n'avaient pas la place, elles n'avaient pas l'espace nécessaire à leur souffle. l'angoisse ? une bête sauvage dans la poitrine. personne ne sait qui nous sommes. personne ne mesure la morsure. et peut être du fond du secret que nous gardons serré autour de nous nous ne voulons pas être sues, même pas être devinées ; nous voulons être reconnues. "Saturday ; July 19, 1958 Sylvia Plath, Unabridged Journals (1950-1962), Anchor Books.
I'm nobody ! Who are you ? How dreary to be somebody ! Emily Dickinson, Complete Poems, part I : Life, XXVII avant -
après lundi 17 septembre 2007
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