breathing under water...
... living under glass

(un journal online)

 

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29.08.01

loin

pull (rouge) à rayures et gris du ciel. JL est passé à la maison ce matin, il a déposé des paquets d'apple caramel pops devant ma porte. il faut que j'appelle Else, il faut que je voie Else, j'ai une envie terrible de parler de tout, de rien, et d'avoir l'impression que c'est éminemment important, crucial, presque divin. tsss.

pull rouge donc, personne n'a su où j'avais disparu en début de mois d'août. je me suis laissée aller. je me suis laissée enlever.

il est venu un soir avec des cerfs-volants dans une voiture, et il m'a emmenée. loin. très loin. il conduisait en gardant une main dans les miennes. je parlais en mettant tous mes mots dans les siens. ça ne veut rien dire. c'est tout aussi bien.

là-bas, au bout de la route en pointillé, il y avait le vent le sable, la mer.

 

je n'ai même pas besoin de me demander quel pseudo lui donner, désormais. quand je parle de lui, je ne peux parler que de lui. lui qui est loin et lui que... j'aime. oulah, qu'est-ce que c'est sérieux. je ne suis pas capable de dire ces choses-là. le mot reste coincé dans la gorge. c'est comme si c'était trop gros, trop lourd, presque obscène. alors je trouve des chemins détournés. je tourne autour des mots. je tourne ma langue sept fois dans sa bouche et le secret est scellé.

a-t-on vraiment toujours besoin de parler ?

la mer, là-bas, était grise et grande et belle. il pleuvait. j'étais aux anges. quelle drôle d'expression. le seul ange avec qui j'aurais pu être c'était lui et il n'en est pas un. ou alors à sa manière, avec ses bêtises d'enfant et les yeux dans les nuages. qu'importe. il pleuvait. je voulais m'acheter un imperméable jaune de marin, avec des bottes et un chapeau cirés. je voulais aller à la pêche, à la criée, au port et dans toutes les usines de sardines du coin. j'aurai signé mon nouveau journal "la belle trinitaise". même pas vrai. j'avais oublié tout ce qui n'était pas la mer et lui, j'avais oublié tout le reste, et jusqu'à ce journal. pour la première fois de ma vie depuis longtemps, j'ai fait un blanc dans mes carnets. un blanc volontaire, un silence terrible. je n'ai rien écrit. je n'ai presque rien lu. je voulais que plus tard, lorsqu'il serait parti, lorsqu'il serait loin, je puisse me rappeler ces moments sans passer par l'écriture, sans vivre à travers mes propres mots. je voulais que le souvenir de ces jours merveilleux ne soit qu'une impression diffuse, une sensation confuse, quelque chose qui passe d'abord par le coeur, le corps, ensuite par l'intellectualisme du langage.

alors je n'ai rien écrit.

rien. et j'ai vécu de ses mots à lui, de ses mains, de ses bras. je l'ai suivi sur le bords des chemins côtiers la nuit. le sable faisait un petit bruit de craquement sous les pas, comme la neige parfois. dans l'obscurité la plus complète, la mer n'était plus que présence, présence immense dans la nuit et le silence. je me suis accrochée les cheveux dans les ronces. il me tenait la main, il disait qu'il n'allait jamais la lâcher. j'avais de drôles d'idées.

en vélo, sentir le vent qui frappe le visage, mon étole rouge qui vole. je ne voulais plus jamais m'arrêter. il faisait beau. de la péninsule bleue de l'île, on voyait la pluie ravager les côtes. je m'étais étendue de tout mon long sur le dos d'un dolmen pour dormir. lui, ses mains bleues de mûres, moi, mes cheveux roux dans le soleil du soir. nous, un moment debouts sur la falaise à prendre le vent. j'avais un exemplaire de Chateaubriand dans ma poche et ça me faisait rire.

tant pis pour les clichés romantiques, tant pis pour tout ce qu'on se défend d'être mais qu'on est quand même, et passionnément. le soir dans les rues de la ville fortifiée je lui parlais de B. je lui disais sa douceur et sa timidité, cette seule douceur et cette seule timidité qui auraient pu venir à bout de moi, mes barrières contre l'amour. je lui disais pourquoi je ne sais pas dire que j'aime, pourquoi je ne sais peut être pas aimer tout court, de peur de tout, de peur de ne pas avoir Tout. B, lui, m'avait prise par surprise. j'avais 16 ans, je ne m'attendais pas à tant. des mots, des frôlements, mes doigts entre les siens dans le secret, une intimité voilée dans le brouhaha des autres. j'étais bouleversée. il n'a jamais rien dit. je n'ai jamais rien dit. ces moments là se passaient de commentaires. et puis je suis partie. il est parti aussi. une année aux états-unis, chacun de notre côté, chacun dans notre nouveauté. je n'ai jamais oublié. dans les jardins ronds de la ville fortifiée, je lui parlais de B, je lui disais qu'il m'avait brûlée, brûlée dans son silence, son mutisme, notre partage d'un moment hors du temps. dans les cris et les ébats des autres, un seul regard suffisait pour combler mes passions, mes soifs d'absolu. je lui disais que plus tard, en rentrant en france, quand j'avais eu l'occasion de le revoir je n'avais pas voulu, je n'avais pas voulu casser le rêve, souiller le souvenir de mots inutiles, superficiels, de traîner l'ancienne beauté dans la réalité nouvelle. appelez-ça lâcheté. c'est mon plus beau souvenir, secret cristallisé.

pull (rouge) à rayures et gris du ciel. j'ai fait le meilleur gâteau au chocolat du monde tout à l'heure. purement expérimental. un peu de tout ce que j'aime pour faire la cuisine. des oeufs bien jaunes et du sucre, de la farine, les blancs montés en neige à grands coups de leonard cohen, des cuillérées bien bombées de cannelle, de poudre de noisette, beurre frais et chocolat corsé... une merveille. j'en ai mis plein mon pull (rouge). j'en ai mis plein le gris du ciel. une merveille, oui. qu'importe les recettes quand on le fait avec une pincée de sourire au coeur ?

à bien y réfléchir, l'amour, c'est pareil.

...

dans ma tête, sur internet, je lui raconte mes aventures de rien du tout et je l'entends presque rire au dessus de l'atlantique. dis, sois heureux tu veux, je réussis mieux mes gâteaux quand je sais que tu es heureux, même loin, juste quelque part, heureux. si, si.

j'ai perdu cette peur de ne pas tout vivre, j'ai appris à tout prendre même lorsqu'on me l'interdit. je n'ai plus l'angoisse de ne vivre qu'à moitié. puisque cette autre moitié, c'est lui qui me la donne.

...

le matin, se réveiller dans les draps blancs, et, avant même d'étendre la main, savoir qu'il est là. un jour je vais lui dire la vérité. je vais lui dire que ces mots, ces mots jetés dans le blanc, ils n'existent que s'il existe avec moi, ils n'ont de sens que s'il m'en donne à moi. un jour je vais lui dire des choses très bêtes, vraiment très bêtes. je vais lui dire que je l'aime, l'idiot, et que je crois que c'est pour longtemps encore.

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et quand t'étais là je ne savais rien dire
ils parlaient tous aussi fort
tu ne voyais même pas ce que ça voulait dire

quelqu'un qui tient ton regard aussi fort...
-w.s.-