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mercredi 5 décembre 2001 quand tout revient à rien
la pluie qui bat les vitres, tout doucement. nicky dort étendue
sur le lit. après trois ans d'absence et trente heures d'avion, nicky est revenue de
nouvelle-zélande. nous avons parlé longtemps, longtemps, de tout de rien, de katherine
mansfied de A qui lui faisait peur, de la sensibilité des langues de la chance d'être
bilingue, et puis elle m'a parlée aussi de la tumeur, la petite graine noire qu'on lui a
découvert dans la tête, j'avais envie de pleurer tout à coup c'était bête, même si
c'est bénin, même si ça n'est presque rien, il y a ce truc qui flotte au dessus de nous
toujours ça m'angoisse ça me tue ça me libère, oh, être bien être bien être bien.
acheté des fleurs, du thé, l'écume des jours pour lui
donner. |
je ne sais pas comment ils font, tous, pour
oublier. pour aller dans la vie en aveugles volontaires, tout le temps. pour se contenter
de si peu en se faisant croire que c'est beaucoup, pour se contenter de si peu quand il y
a ces perpétuelles pierres qui nous pendent au cou. on dira, il n'y a pas de temps
à perdre, le temps passe si vite, tout ça. mais le temps n'est pas monnaie d'argent, le
temps ne se monnaye pas, il ne se perd pas plus qu'il ne se gagne. et le temps ne passe
pas. c'est nous, nous seuls qui passons. un peu d'humilité que diable, nous ne sommes pas
grand chose, et j'adore ça, parce que de fait cela nous donne tous les droits. mardi
soir, rendez-vous de khâgneux sur notre moquette rouge. X dit que toutes les khâgneuses
ont des cols à dentelle et des nez à fumer sous la douche (X a toujours de drôles
d'expressions qui n'appartiennent qu'à lui). moi je dis que tous les khâgneux sont
surtout névrosés. quand je les taquine en leur disant que normalien ou pas on finira
tous six pieds sous terre au même endroit, ils me traitent de stoïcienne. ce que les
gens sont compliqués. la pluie qui bat les vitres, tout
doucement. comme tout le monde j'ai peur de tas de choses. j'ai peur de la mort des
autres, de la souffrance, de l'incompréhension. j'ai peur de la bêtise, de
l'obscurantisme. j'ai peur mais ma peur est liquide, elle passe sur moi comme un fluide,
(mon côté bene gesserit), elle ne me noie pas. rien n'a d'importance. je veux dire, une
fois démantelée la mafia des fantasmes des mythologies des représentations sociales il
ne reste pas grand chose. quand tout revient à rien, il reste... du thé au fond de la
tasse (noir, très amer, qui fait presque plisser les yeux dans l'âpreté), la pluie qui
bat les vitres, tout doucement, nicky endormie étendue sur le lit, très belle et très
vivante, palpitante comme une fleur, le monde entier clos sous la paupière de ses yeux
verts.
bon et maintenant mademoiselle O, tais-toi, et écris.
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