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(un journal online)

 

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7 février 2002

j'ai toujours été fière de ma date d'anniversaire. sept février, je trouvais que ça sonnait bien. le sept me semblait magique, un chiffre biblique, merveilleux, une clé secrète au bonheur. février, c'était pour le blanc, la neige, le froid, les écharpes remontées sur la bouche, les arbres glacés dans le ciel comme des estampes au petit matin, le goût amer du thé chaud (à l'orange ou à la bergamotte), février, c'était le feu dans les cheminées des chalets de vacances, le soir après les descentes folles en luge avec ma soeur, la mer en hiver grise et bleue et verte à dieppe ou à trouville, février, c'était un mois magique, différent des autres en ce qu'il est étrangement plus court, et gagne le droit de faire son intéressant tous les quatre ans en donnant son nom à l'année - bissextile, d'ailleurs si je n'étais pas née le 7 il aurait fallu que ce soit le 29, une date qui n'existe que de temps en temps et s'ouvre sur commande sacrée, divine, une sorte de sésame ouvre-toi céleste, bref, si ça n'avait pas été le 7 ça n'aurait pu être que le 29, comme le vieux mage Balthus. février enfin c'était le mois des verseaux, je trouvais ça très juste d'être verseau, tout ce qui était liquide était mon élément, j'étais aussi si fière de mon prénom, et même dans le catalogue rustica que je ne manquais pas de lire enfermée dans les toilettes chez mes grands-parents, la citation du jour à la date du sept février disait quelque chose comme : tout navire qui a pris l'eau une fois, ne reprend pas la mer. j'étais très fière de tout ça, de la concordance de tout ça.

je m'inventais mon histoire, mon mythe, mes références. je serai le chiffre sept, la fille de l'eau, de la neige, la blancheur de la nuit et des rêves. je serai verseau (dans tous les magazines on disait : les verseaux sont des gens très épris de liberté, à fort carastère, possédant un grand sens de l'amitié, moi je faisais la maligne à l'école primaire en défendant la veuve et l'opprimé, je voulais être camille desmoulins défenseur de la liberté, j'avais un cercle d'amis que j'aimais comme des frères, ils étaient peu mais j'aurais tout donné pour eux, moi je faisais la maligne je construisais mon mythe, mon roman personnel et j'étais comme confortée dans mes idées par les pages astrologie des magazines, tous ces grands mots à la dernière page des revues féminines chez le dentiste, formules magiques, rêves en boîte et classifications de vendeurs d'étoiles). quand plus tard j'ai rencontré eugénie (c'était en classe de cinquième, je faisais de l'allemand, du grec et du latin, j'étais pleine de rêves de livres et de voyages lointains), je me suis dit que nous ne pourrions qu'être amies. le sept février, c'était la sainte eugénie, et avec son prénom d'impératrice, de bien-née, son prénom de sept février, je la croyais prédestinée comme moi, marquée par les signes, les étoiles, que sais-je, je la savais différente et cela m'enorgueillissait, car dès l'instant où son prénom avait été prononcé au micro le jour de la rentrée des classes, je n'avais rien vu de plus naturel que de la suivre, l'accompagner, m'asseoir à côté d'elle.

cette même année de cinquième, j'ai rêvé de bateaux, d'îles désertes et de marins noyés. j'ai rêvé qu'on m'enfermait dans une bouteille de verre sur un navire miniature. j'ai rêvé tritons ondines et sirènes monstrueuses. j'ai rêvé d'ulysse hurlant pour le plaisir les oreilles bouchées de cire. j'ai rêvé tant et tant, toutes les mers et tous les océans, le soir en me couchant je disais : c'est l'appel des rivières. et puis aussi, finalement, à la fin de l'année, lisant hamlet pour la première fois pourtant, j'ai rêvé que je respirais sous l'eau.

quelque part au début de son journal, huguenin écrit : se créer. se créer comme un personnage de roman. à douze ans, j'avais mon histoire, mon mythe, mes références. j'étais le chiffre sept, la fille de l'eau, de la neige, la blancheur de la nuit et l'appel des rivières.

je dis à X : j'ai toujours été très fière de ma date d'anniversaire. je viens de souffler les bougies comme une enfant, en gonflant les joues comme des voiles, et il est en train de découper le gâteau, un gros gâteau au chocolat sorti comme par magie d'un papier bleu lenôtre, un gros gâteau décoré de piécettes en nougatine, de feuilles d'or et de violoncelles fins et délicats comme la pluie. il sourit : mais, chérie, tu as toujours été très fière tout court.

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