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(un journal online)

 

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samedi 5 janvier 2002

il y avait une très vieille dame avec de longs gants blancs et des yeux en diamant, elle avait un chien, un lévrier blanc que dans sa grande solitude de la vie elle avait appelé : Fidèle.

elle ressemblait à ces dames de la belle époque, grande et fine et belle avec ses robes à volants et ses colliers de perles. je l'aimais bien. elle ressemblait à une princesse passée, un peu fanée, la peau blanche et tirée par les ages, le temps, vagabondant toute seule dans sa grande maison d'antan. je l'aimais bien. elle s'appelait madame de quelque chose, elle avait de vieilles mains très longues très blanches, veinées de bleu et débordant de bagues, elle me donnait des bonbons, des petits sablés blonds, elle me disait : tu es un petit rayon de soleil. moi je l'aimais bien, elle parlait avec une voix très douce, elle sentait le musc et les temps inconnus, elle allait très blanche un peu fantomatique dans sa grande maison sombre, elle allait très blanche dans le froufrou des robes et des rubans, elle allait très blanche et toujours silencieusement.

c'était C, ma nourrice de l'époque, qui m'emmenait la voir. elles étaient amies. elles habitaient en face. elles se retrouvaient pour prendre le thé, parler du temps passé. C était plus jeune, elle venait lui tenir compagnie, l'aider à ouvrir toutes les fenetres de la propriété. il en fallait du temps pour ouvrir tous les volets, j'accompagnais C dans les grands escaliers, je courais à travers les chambres, les boudoirs, les salons, j'avais un peu peur parfois alors je restais dans les jupes de C, je lui disais d'un air de manigance : j'ai vu quelque chose bouger derrière le canapé. il y avait de grands meubles en bois brun aux grands corps lourds et massifs, de longs parquets cirés à l'odeur doucereuse de miel et de poussière, et ces belles glaces de saint-gobain où dansait la lumière, - quand C ouvrait les volets d'un seul coup tout s'illuminait, les tentures sur les murs cessaient de bouger, les visages des peintures se figeaient, et tous les draps blancs qui couvraient les fauteuils, les canapés, les méridiennes anciennes, tous les draps blancs arretaient leurs grimaces de fantome, je courais partout je leur tirais la langue, je leur disais, ah bien fait vous ne faites plus les malins maintenant, hein.

elle ressemblait à ces dames de la belle-époque, avec ses mains très fines et ses yeux en diamant. (elle se maquillait encore, dans sa chambre un jour elle m'a montrée ses fioles de parfum, ses poudriers en corne, ses peignes d'ivoire, ses bijoux anciens et ses précieux miroirs. elle se maquillait encore, devant une grande glace en fer forgé, sa petite table de bois et de marbre) elle vivait seule dans sa grande propriété, elle n'avait pas d'enfants, ou alors peut etre étaient ils morts depuis trop longtemps, elle était seule avec ses livres et son jardin et sa belle maison et aussi ce chien tout blanc, un lévrier très fin, souple et long comme dans un seul mouvement, un lévrier de race que dans sa grande solitude elle appelait : Fidèle.

je me souviens du portail de fer forgé, je me souviens des hortensias bleus sur le coté. je me souviens de la maison très grande et très blanche, du lierre qui dansait sur la façade de pierre. je me souviens d'elle assise dans son grand fauteuil, très droite, très douce, avec ses robes anciennes et son chien blanc à ses pieds. je me souviens des bonbons, des gateaux qu'elle me donnait. je me souviens de tous ces jours où avec C je venais, je courais partout ouvrir les fenetres pour laisser entrer la lumière et où elle m'appelait : son petit rayon de soleil. je me souviens des derniers temps, des dernières années. après je suis devenue grande, j'ai changé d'école, je n'allais plus la voir vraiment je lui faisais un petit signe seulement en passant. après je suis devenue grande, je l'ai un peu oubliée. j'avais gardé d'elle ce souvenir doux, délicat, d'une vieille femme fragile comme le verre, d'un chien tout blanc silencieux fin et long comme fait d'un seul mouvement, j'avais gardé d'elle aussi ce peigne ancien qu'elle m'avait donné, un peigne en corne avec des petits brillants incrustés, parce que j'avais les cheveux très longs comme elle à mon age, parce que pendant ces derniers temps j'étais la seule petite fille qui soit venue la distraire dans son ermitage. après je suis devenue grande oui et puis C est partie, je suis partie, je ne passais plus par ce quartier de la ville, j'ai oublié, j'ai tout oublié.

...

samedi matin, je vais dans la maison, je vais bien, je suis bien, j'ai attaché mes cheveux j'ai dormi si longtemps et si profondément dans mon lit blanc, à table papa parle de tout de rien, et à un moment, il me regarde, il me dit : tu te souviens de cette dame très vieille qui vivait rue X dans la grande propriété, cette dame très vieille que tu allais voir avec C ? et bien la maison est en vente, j'ai vu la pancarte, et les volets sont à nouveau ouverts.

je suis montée dans ma chambre. j'ai fouillé dans mes affaires. j'ai retrouvé le peigne de corne incrusté de brillants. je l'ai mis dans mes cheveux. j'étais un peu triste d'avoir oublié si vite. maintenant quand je m'en rappelle j'ai l'impression d'avoir fait un reve, ou lu ça dans un poème. il y avait une très vieille dame avec de longs gants blancs et des yeux en diamant, elle avait un chien, un lévrier blanc que dans sa grande solitude de la vie elle avait appelé : Fidèle.

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