Klo qui m'appelle en catastrophe samedi matin. il
fallait courir à l'autre bout de Paris chercher deux accueillis américains qui avaient
eu des problèmes de visa. je suis arrivée très en retard au centre international. ils
avaient tous les deux d'énormes valises vertes. j'étais contente de les voir. dans le
métro, je leur traduisais les paroles des chansons de gainsbourg. week-end à parler anglais, manger des chips au vinaigre, prendre des
médicaments roses gélifiés qui ressemblent à des bonbons, X revient du japon et me
parle de Mizoguchi, O revient du minnesota et me tartine d'histoires salaces, moi je
flotte, je dis, j'ai tellement mal à la gorge, à la tête, mais je m'en fiche, huit
étudiants d'échange accueillis cette année dans notre comité - six américains, un
australien, une autrichienne - j'ai déjà mon chouchou, le plus jeune et plus doux, il va
habiter avec la famille de celui qui était déjà mon chouchou parmi les partants,
drôle, tous les deux ont le même nom (C.), le même jeune âge (16 ans) et pourtant
aussi la même maturité étrange, ce regard doux et posé, impressionnant. je repense à
D l'insidieuse me disant, la première fois que j'avais rencontré le C. français, depuis
parti en Afrique du Sud : "détournement de mineur..."
dans la rue, j'explique à Klo que ce n'est que lorsque je suis
avec elle, en charge d'un groupe de jeunes accueillis étrangers, responsable officielle,
etc, que je me sens bien, juste, légitime. j'ai besoin d'avoir une mission, un rôle à
remplir, j'ai besoin d'avoir un but pour me sentir à l'aise dans la foule. la confiance
tirée de la responsabilité qu'on nous donne. l'orgueil de la différence, de
l'importance de faire quelque chose qui me rend bien. l'aisance de l'extraordinaire, le
bonheur de se sentir enfin à sa place. et puis je lui dis, c'est comme être étrangère.
c'est comme être amoureuse.
...
L s'amuse, étale de la confiture sur de petites brioches en
lisant Kant. rituel de goûter : thé foncé, chocolat, confiture de framboise. j'explique
à T que j'ai envie de scones, que j'ai relu le début de Rebecca la veille dans
mon bain, que depuis que j'ai lu ce livre j'ai une conception archi romantique du goûter,
qu'il me faut de la pluie et du vent et des magnolias en fleurs et que ça me donne envie
d'aller vivre dans un manoir en angleterre. pauvre T, qui revient de son week-end
d'intégration, pure idiotie dans la tradition bizutoire des écoles d'informaticiens pas
franchement aboutis, et que j'ennuie avec mes histoires de scones post-romantiques à la
confiture. tout à l'heure, T m'a sauvée la vie. il a réussi à rallumer ma machine
après une grosse erreur système due à AOL. il n'a rien fait d'extraordinaire pourtant.
un peu caressé, parlé avec une voix virile. elle a redémarré au quart de tour, et en
ronronnant comme une bienheureuse. ma machine est, j'en suis sûre maintenant,
complètement frustrée sexuellement.
...
soir d'automne à Paris. il me manque, il me manque tellement.
souchon chante la rive gauche et moi je vais le long des quais. je vais là où l'on
allait, le soir, la nuit. j'avais mes yeux dans ses yeux et mes mains dans ses poches. il
manque, il manque tellement. restaurant japonais, je regarde T regarder L et je flotte
dans le vide. crudité exhorbitante des sashimis. mal au coeur. chair rose, fade. ce
garçon en face qui me regarde avec insistance, je me penche vers L, respire son parfum,
trouve une consolation là seulement, dans la protection de son parfum.
dehors, la nuit noire, noyée de brouillard. envie de jazz, de
nuits bleutées. danser, la tête sur son épaule. le temps se fait long, tu sais. le
temps se fait long quand tu n'es pas là.
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